Dans leurs interventions lors de la journée d'étude d'hier, les membres du Conseil de la nation proposent un amendement des textes qui les régissent afin de légiférer au même titre que les députés. “Notre institution se trouve entre le marteau et l'enclume. Soit elle cautionne la démagogie de l'APN en adoptant la loi telle qu'elle lui est parvenue, soit elle ouvre la voie à la surenchère du gouvernement en la bloquant”, a déclaré Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation, le jour de l'adoption du projet de la loi de finances pour 2005. Le deuxième personnage de l'Etat a illustré ainsi le dilemme que vivent les sénateurs, qui ne jouissent pas jusqu'alors du droit d'amendement, à chaque fois qu'ils désapprouvent des dispositions votées par leurs collègues de l'Assemblée nationale. Le ministère chargé des Relations avec le Parlement a justement organisé, hier à l'hôtel El-Aurassi, un séminaire sur l'article 120 de la Constitution de 1996, lequel définit les relations entre les deux Chambres parlementaires. “Le conseil de la nation délibère sur le texte voté par l'APN et l'adopte à la majorité des trois quarts de ses membres.” Selon les conférenciers (des universitaires), les artisans de la constitution de 1996 ont pensé, à travers cette disposition, torpiller les projets d'une APN susceptible de nourrir des desseins antidémocratiques (expérience du FIS dissous) ou simplement corriger, dans une conjoncture normale, ses erreurs d'appréciation. Il n'en demeure pas moins que la réalité du terrain a montré que les dispositions constitutionnelles, conçues comme des garde-fous contre une quelconque dérive politique, entravent considérablement le travail législatif. “La prérogative donnée au Sénat de rejeter des lois sans pouvoir les amender est davantage un élément de blocage”, a confirmé une intervenante. Plusieurs projets de loi, dont ceux portant statut des parlementaires, statut de la magistrature ou régissant le gardiennage, la sécurité sociale… ont été laissés en suspens pendant plusieurs années parce que le Sénat a opposé son veto à quelques-unes de leurs dispositions. Le mécanisme prévu dans ce cas-là (convocation de la commission paritaire par le chef du gouvernement) n'a pas fonctionné en l'absence d'une décision politique. Bien que certains juristes estiment que la commission paritaire (composée de dix députés et dix sénateurs) offre aux membres du Conseil de la nation un cadre dérobé pour faire aboutir leurs propositions d'amendements. Bouzid Lazhari, juriste et vice-président du Conseil de la nation, a affirmé que le Conseil constitutionnel a fait une interprétation restrictive de l'article 120 en déniant aux sénateurs le droit à introduire des amendements aux projets ou propositions de loi qui leur sont soumis. “Cet article donne aux membres du Sénat le pouvoir d'opposition, qui ne peut se traduire que par un droit à l'amendement. De son avis, il suffira aux sénateurs d'adopter des mécanismes d'amendements différents de ceux de l'APN. Il deviendra alors indispensable de réviser la loi organique régissant les deux Chambres, promulguée en mars 1999, soit plus d'une année après l'installation de la Chambre haute. Le règlement intérieur du Conseil de la nation subira systématiquement le même sort. “Le président de la République a le pouvoir de changer la Constitution. En attendant, nous continuerons à fonctionner avec celle en vigueur. Nous avons, néanmoins, la possibilité de modifier les lois qui détaillent les dispositions constitutionnelles relatives au Parlement.” Sans détour, les sénateurs revendiquent le droit de légiférer au même titre que les députés ou, plus exactement, l'instauration du principe de navette (le va-et-vient des lois entre les deux Chambres jusqu'à la finalisation d'une mouture consensuelle), appliqué dans la majorité des pays ayant choisi le système bicaméral. D'autant que l'article 98 de la Constitution leur accorde les mêmes droits que leurs pairs de l'Assemblée nationale, tandis que l'article 119 limite l'initiative des lois au gouvernement et aux députés. Dispositions de l'article 120 de la Constitution Pour être adopté, tout projet ou proposition de loi doit faire l'objet d'une délibération successivement par l'Assemblée populaire nationale et par le Conseil de la nation. La discussion des projets ou propositions de lois par l'APN porte sur le texte qui lui est présenté. Le Conseil de la nation délibère sur le texte voté par l'APN et l'adopte à la majorité de ses membres. En cas de désaccord entre les deux Chambres, une commission paritaire, constituée des membres des deux Chambres, se réunit à la demande du Chef du gouvernement pour proposer un texte sur les dispositions, objet du désaccord. Ce texte est soumis par le gouvernement à l'adoption des deux Chambres et n'est pas susceptible d'amendement, sauf accord du gouvernement. En cas de persistance du désaccord, ledit texte est retiré. Le Parlement adopte la loi de finances dans un délai de 75 jours au plus tard, à compter de la date de son dépôt conformément aux alinéas précédents. En cas de non-adoption dans le délai imparti, le président de la République promulgue le projet du gouvernement par ordonnance. Les autres procédures seront fixées par la loi organique visée à l'article 115 de la Constitution. S. H.