Je vais vous le dire cash. Je ne crois pas que le secteur de l'énergie soit réellement concerné par la substitution aux importations de ses intrants, et j'expliquerai évidemment pourquoi. Ce n'est pas les quelques arbres qui cachent la forêt qui vont me convaincre du contraire, comme la création, le 29 janvier 2015, d'une société conjointe pour la fabrication de biens d'équipements pétroliers et gaziers entre la Sonatrach (51%) et General Electric (49%). Ou bien la création d'une entreprise mixte d'engineering entre Sonatrach (51%) et Petrofac (49%) en janvier dernier aussi. J'ai bien peur que cette extraversion soit de caractère structurel. Le cas est avéré, depuis plusieurs décennies, pour les énergies carbonées. S'agissant des énergies renouvelables, l'optimisme affiché par le PDG de la Société d'électricité et des énergies renouvelables (SKTM) d'arriver à un taux d'intégration "de 50% d'ici 2020 et de 80% à l'horizon 2030" me paraît bien surfait. La marque de fabrique du secteur de l'énergie en Algérie est qu'il fonctionne toujours sous le sceau de l'urgence alors que l'intégration industrielle est inscrite dans le temps long. Illustration. Les augmentations des réserves et des capacités de production, de transport et de valorisation des énergies primaires et transformées (carburants, électricité, gaz) se décident dans le très court terme, sans anticipation suffisante. Lorsque les déficits sont déjà là. La seule solution qui s'impose alors, pour traiter le problème et aller vite, est celle de signer rapidement des contrats clés en main avec le reste du monde. Le recours aux moyens locaux et l'intégration des biens d'équipements énergétiques sont, malgré les discours formels, tout simplement disqualifiés de par le processus même d'investissement et de fonctionnement dans l'urgence du secteur énergétique. Depuis l'indépendance, et j'en sais quelque chose, combien d'entreprises d'engineering du secteur des hydrocarbures ont été créées, puis marginalisées, avant d'être tout simplement dissoutes. Combien de fois les usines de pipelines d'El-Hadjar et de Ghardaïa se sont retrouvées avec des stocks considérables alors que des tubes sont importés de l'étranger ! Enfin pendant combien de temps des entreprises algériennes de services, de travaux et même de forage sont restées sans plan de charge au moment où il était fait appel aux moyens étrangers ! C'est avec ce paradigme de l'urgence et de la sous-estimation des capacités nationales, paradigme toujours prégnant, qu'il faudra rompre. En prend-t-on le chemin ? Je ne le crois pas. Les conditions générales dans lesquelles a été préparée et s'est déroulée du 3 au 6 mars 2015 à Alger la cinquième édition du Salon international des fournisseurs de produits et services pétroliers et gaziers de Hassi Messaoud confirment mes appréhensions. D'abord la délocalisation de ce salon à Alger, alors que son identité est précisément de se tenir régulièrement à Hassi Messaoud, ne me paraît pas être très indiquée, notamment en ce temps d'exigence légitime d'équité territoriale. Je vois mal, par exemple, le Salon annuel de biens d'équipements pétroliers de Houston se tenir un jour à Dallas. Mais passons, l'important est ailleurs. Il est dans le casting de l'événement qui aurait dû plus s'inscrire dans la fenêtre ouverte de la nouvelle politique de ré-industrialisation et de substitution aux importations des biens d'équipements, des services et autres pièces de rechange pétroliers et gaziers que dans l'appel, tous azimuts, aux fournisseurs grands et petits du reste du monde à investir un marché totalement ouvert sans contrepartie. Avec comme arrière-fond une petite musique de remontée de prix du baril pour garantir la solvabilité du marché. De mon point de vue, il fallait sans doute commencer par organiser un salon des fournisseurs nationaux des produits et services pétroliers en présence des grands donneurs d'ordre algériens, notamment la Sonatrach et la Sonelgaz. Pourquoi ? Pour évaluer le potentiel des entreprises algériennes publiques et privées concernées par la fabrication des biens industriels pétroliers et la sous-traitance. Pour identifier ensuite, conjointement avec les donneurs d'ordres, leurs faiblesses et leurs points forts à faire valoir. Pour construire enfin des synergies, en les fédérant le cas échéant (privé/privé, public/privé), de sorte à offrir une plus grande surface d'intervention et de s'inscrire dans les standards internationaux. C'est dans ces conditions que l'offre algérienne peut émerger et offrir une surface critique solidaire pouvant peser sur la construction de partenariats gagnant/gagnant avec les fournisseurs étrangers. Tout change chez nous, mais finalement rien ne bouge. On continue de faire comme avant. Mais en vérité, l'inertie de ce paradigme d'extraversion du secteur de l'énergie ne vient pas du champ opérationnel ; il vient du champ institutionnel et politique. C'est même inscrit dans la loi. Ainsi, en application des articles 89 et 97 de la loi 05-07 sur les hydrocarbures du 28 avril 2005, modifiée et complétée, le décret n°14-06 du 15 janvier2015 fixe la liste des équipements et produits importés de la chaîne des hydrocarbures ouvrant droit à de nouveaux avantages fiscaux. En d'autres termes la préférence nationale et la substitution aux importations, comme instruments de ré-industrialisation, ne concernent pas les biens d'équipement et autres services pétroliers et gaziers. Les producteurs industriels locaux sont soumis aux mêmes conditions commerciales et fiscales que leurs concurrents étrangers. Depuis des décennies c'est inscrit dans le marbre. Pourquoi ? Parce que la priorité fixée à ce jour au secteur de l'énergie est de générer un niveau de rente compatible avec les besoins financiers du développement économique et social et de garantir la sécurité énergétique du pays. À l'évidence, cela ne passe pas par la construction d'une industrie nationale de biens d'équipements pétroliers et gaziers. Ici comme d'ailleurs dans la plupart des autres pays exportateurs d'hydrocarbures (pays du Golfe, Nigeria, Venezuela). J'ai malheureusement le sentiment que, pour la réalisation de notre programme d'énergies renouvelables, nous resterons toujours arrimés au même paradigme inertiel d'extraversion. En conclusion vous savez pourquoi on dit que l'économie est une science lugubre ? Parce qu'elle ne donne pas toujours de bonnes nouvelles. Dans ces cas, on ne remet pas en cause les fondements structurels du problème mais on s'attaque au messager. C'est plus facile. M. M.