Sur un ton solennel, voire grave, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, soutient mordicus qu'une oligarchie "siphonne" les deniers publics en toute impunité et opère une mainmise sur les institutions de l'Etat, jusqu'à en menacer l'existence même. Invitée du Forum de Liberté, la responsable du PT a affirmé que 30% des ministres sont coupables de siphonnage de deniers publics. Elle a, aussi, interpellé le chef de l'Etat afin de mettre fin à cette situation, suggérant une réforme politique profonde, qui passe d'abord par un remaniement ministériel afin de "se séparer des ministres qui sont au cœur de la cascade de scandales financiers et des affaires de corruption traitées actuellement par la justice algérienne". Elle a affirmé, ce disant, avoir entendu parler d'un remaniement ministériel imminent. Mme Hanoune considère pour autant qu'il y a lieu de "distinguer entre le pillage de fonds publics qui a toujours existé, et dont la matrice est le système du parti unique", et cette tentative de faire une opa sur les institutions de l'Etat. "Ce n'est plus la défense des biens de l'Etat qui est en jeu, mais celle de l'Etat lui-même" dont il s'agit, selon elle. Pour étayer ses propos, la SG du PT cite des exemples à profusion. La règle des 51/49 dévoyée de son origine, le gré à gré, le partenariat public-privé et la relation avec les multinationales, autant d'astuces dont se sert cette oligarchie de patrons pour accaparer des richesses du pays, estime-t-elle. Dans son analyse de la conjoncture qui a suivi la chute des cours du pétrole, la première responsable du Parti des travailleurs a fait état d'"un grand cafouillage" et d'une sorte de "panique" au gouvernement, mais qui s'est accompagnée du "processus le plus dangereux qu'a connu l'Algérie depuis son Indépendance" qu'elle nommera "l'oligarchisation". Elle fera état, en ce sens, de "clique oligarchique" qui a ses ramifications au sein de l'Etat, allusion faite à certains ministres. "Ils sont insatiables" Louisa Hanoune précise, cependant, qu'il ne s'agit pas du privé algérien qui complète le public dans divers domaines de la production, mais d'une oligarchie servie par des ministres et aux ramifications multiples. "Ils sont insatiables, leur gloutonnerie n'a pas de limite et ils veulent s'approprier tous les secteurs d'activité", poursuit-elle dans son verdict sans appel. "Cette oligarchie n'a ni morale ni éthique", a encore asséné Louisa Hanoune. Elle alerte aussi sur ce processus qui, s'il se poursuit, entraînerait, dit-elle, une "balkanisation" ou "mexiquisation" où sont privatisées les institutions, à l'instar de la police, des prisons, etc. Elle n'hésitera pas, sur sa lancée, à convoquer pour les besoins de la cause le scénario de la mise en place d'un Etat parallèle qui intervient alors que le même Etat est fragilisé. Au moment, dit-elle, où les recettes de l'Etat s'amenuisent et des familles entières vivent en dessous du seuil du sNMG, la prédation économique se poursuit. Aussi s'était-elle interrogée sur l'absence d'une déclaration publique pour dénoncer cette dérive dont elle donne un aperçu en citant les faits selon lesquels le président du FCE, en l'occurrence Ali Haddad, aurait supplanté le chef de l'Exécutif en recevant des ministres et des ambassadeurs, et même le président de la Chambre basse du Parlement à qui il aurait donné des instructions pour favoriser le privé, donc, lui-même. Dans le même chapitre, elle lèvera le voile sur une affaire de contrat d'accélérateurs pour la lutte contre le cancer où ce privé s'est accaparé 100% du montant du contrat, soit 49% en tant que représentant exclusif de multinationales et 51% en tant que représentant de l'Etat algérien. "Le PT n'a cessé d'alerter les institutions de l'Etat contre les dangers de ce processus", en soulignant la nécessité d'opérer "une rupture du cordon ombilical entre ces mêmes institutions et les oligarques", a-t-elle martelé. Elle rappelle que "le temps nous a toujours donné raison" au sujet de l'ex-ministre Chakib Khelil. S'agissant de Khelifa, elle estime que les leçons n'ont pas été retenues, en voulant pour preuve que maintenant, "il y a des dizaines de Khalifa dans ces oligarchies". Louisa Hanoune a rebondi sur l'annonce de l'instauration de la déclaration du patrimoine en s'interrogeant d'abord sur qui va contrôler les déclarations en question. D'après elle, il convient aussi bien d'arrêter l'importation des chips et des oignons, mais aussi de chercher qui sont les ministres qui en sont les importateurs, puisque, dit-elle, il y a des conflits d'intérêts. Seul bémol, et pas des moindres dans cette grisaille environnante, Mme Hanoune citera la déclaration du ministre de la Justice portant instructions aux parquets pour s'autosaisir dans les affaires intéressant l'opinion publique, considérant qu'il s'agit d'une question de survie. Dans cette bataille que mène le Parti des travailleurs, Louisa Hanoune déclare qu'elle n'est pas seule. "Des citoyens, des journalistes et même des hauts responsables me soutiennent", a-t-elle dit, ajoutant que "certains m'ont conseillé de faire attention à ma vie". La pasionaria du Parti des travailleurs n'a pas hésité à réitérer son engagement à aller en justice contre ceux qu'elle accuse. "Je suis prête, et les députés du PT l'ont réaffirmé. Celle ou celui qui veut porter l'affaire devant la justice, j'y serai", a-t-elle martelé. À propos de la corruption politique, Mme Hanoune a souligné que depuis que l'argent a fait jonction avec la politique, on s'est retrouvé avec des députés qui achètent leur mandat dans le but "de faire du lobbying pour certains". "Nous sommes les seuls qui avons dénoncé l'argent sale dans le domaine politique", a-t-elle rappelé, déclarant que le silence des partis concernant ces affaires de corruption et les révélations du PT "est inquiétant". Les attaques de Louisa Hanoune contre "l'oligarchie" n'est pas, selon elle, "une prise de position d'un clan contre un autre". Mais il s'agit, a dit l'invitée de Liberté, d'"un moyen pour sauver l'Etat menacé dans ses fondements par la corruption". Interrogée sur l'accord d'association avec l'Union européenne, elle a repris ses anciennes positions, rappelant que même le privé a été victime de ce genre d'accord. Elle a mis en garde "certains" ambassadeurs qui s'immiscent, selon elle, dans des affaires algéro-algériennes. A. R.