Faut-il rappeler les scandales financiers qui se sont multipliés durant les différents mandats de Bouteflika ? Depuis l'affaire Khalifa jusqu'aux procès de l'autoroute Est-Ouest et Sonatrach, sans parler des conditions douteuses dans lesquelles certains opérateurs se sont installés en Algérie dans différents secteurs allant de la téléphonie à l'immobilier ? Les forces de l'argent et le projet d'austérité qu'elles portent étaient mis en échec depuis une année par la résistance multiforme de la société algérienne et de ses forces vives patriotiques et démocratiques. Malgré les nombreux appels à en finir avec des subventions vitales pour les couches populaires ou à renoncer à certains investissements publics, l'impossibilité de revenir à une politique appliquée avec brutalité au moment de l'ajustement structurel est la marque la plus pertinente de la ferme volonté du peuple algérien d'accélérer le passage à une économie basée sur la production et qui réhabiliterait le travail. Le pouvoir viole cette avancée en instrumentalisant la crise des cours du pétrole pour promulguer une amnistie fiscale qui dévoie et brade le sens de la nécessaire réforme économique. Il dépossède, encore une fois, le peuple algérien d'une capacité à faire face à la crise acquise au prix de sacrifices inouïs qui ont permis de constituer le fonds de régulation des recettes donnant au pays le répit nécessaire pour s'adapter. Il n'est pas étonnant qu'un Président qui se sera obstiné à obtenir un 4e mandat avait un projet qui ne pouvait s'embarrasser ni d'éthique ni de morale. L'arbitraire en est la marque depuis son premier mandat. Qu'il en vienne à confondre les travailleurs et les opérateurs économiques qui se seront régulièrement acquittés de leurs obligations fiscales avec ceux qui ont amassé des milliards par la spéculation, la corruption et le crime pose un grave problème politique. Et les dénégations du pouvoir qui prétend que l'argent du crime ne sera pas blanchi paraissent aussi dérisoires que celles proférées au moment où il amnistiait les terroristes islamistes en assurant que ceux qui avaient du sang sur les mains ne bénéficieraient pas des dispositions de la loi portant sur la concorde civile. Depuis leurs chefs sont reçus en personnalités nationales et se vantent de leurs crimes sur les plateaux de télévision. En attendant, peut-être, que les rejoignent ceux qui ont tués des djounoud à Aïn Defla le jour de l'Aïd ? Le pouvoir exprime, encore une fois, la hâte du capital spéculatif qui a profité d'une orientation néolibérale débridée, de certains milieux d'argent qui ont amassé des sommes colossales dans la redistribution rentière et parfois dans les trafics en tous genres ou à l'ombre du terrorisme à créer les conditions pour accroître leur fortune, en profitant au plus vite du nouveau partenariat public/privé qui se développe sous le couvert de patriotisme économique. Le pouvoir, qui est à l'initiative d'une transition historique, agit ainsi sur le dos de la société au nom du mot d'ordre de l'accumulation nationale, favorisant une nouvelle forme de prédation. Peu importe la couleur du chat pourvu qu'il attrape la souris, aurait pu dire Deng Xiao Ping dans la Chine de la fin des années 1970 qu'il voulait entraîner, au prix de nouvelles souffrances, dans la voie d'un capitalisme productif qui allait faire exploser les inégalités et la corruption. La situation est d'ailleurs devenue tellement insupportable qu'aujourd'hui le président Xi Jinping s'est attaqué aux "tigres" et aux "mouches", c'est-à-dire aux hauts responsables et aux petits chefs qui se sont enrichis par la corruption, faisant procéder à l'exécution d'un milliardaire et à l'arrestation de 15 généraux, 68 hauts cadres du Parti communiste chinois et 72 000 cadres de plus bas niveaux. Il est à craindre que nous attendions un niveau de corruption encore plus grand avant que l'Etat ne réagisse. Le pouvoir spécule sur l'idée de favoriser l'accumulation nationale au profit du développement. Le risque est qu'il n'y ait ni accumulation nationale ni relance et durabilité du développement à un niveau souhaitable. Car le développement ne dépend pas uniquement de l'accumulation nationale, mais d'un dépassement du caractère néolibéral adossé à la rente du système économique algérien. Et ce dépassement est lui-même lié à la mise en échec définitive des forces liées à l'argent sale. Pas à leur promotion en tant que capitaines d'industrie. Le pouvoir fait une concession grave aux forces de l'argent, justifie ainsi le non-respect de la loi y compris sous d'autres formes que la fraude fiscale et la fuite des capitaux. Après tout, l'exigence de "compétitivité" est la même pour ceux qui ne déclarent pas leurs impôts et ceux qui ne respectent pas le code du travail. Le pouvoir prend ainsi le contre-pied des thèses et principes qui ont justifié le maintien d'une activité productive dans les pires moments de l'ajustement structurel ou du terrorisme islamiste. Et le durcissement des sanctions contre les employeurs qui n'auraient pas déclaré leurs employés n'est qu'une mesure d'accompagnement, destinée à faire accepter la "taxation forfaitaire libératoire" imposée par un pouvoir qui ne manque pas non plus d'euphémismes pour faire admettre l'injustice. L'amnistie fiscale n'est pas le point final de la lutte contre l'argent sale, c'est le renouvellement des concessions. La politique en faveur des milieux d'argent, y compris sale, a été inaugurée depuis l'infitah lancée par Chadli, elle a trouvé sa suite dans la privatisation/liquidation et dans l'ouverture du marché national sans contrepartie au point que même le ministre du Commerce se demande si l'adhésion à l'OMC a un intérêt. Ce ne sont pas les gestes en direction des milieux d'argent, sale ou pas, nationaux et internationaux qui ont manqué, au détriment de l'accumulation nationale et de l'économie productive. C'est précisément une telle logique que l'Algérie paie du chômage massif des jeunes, de la fuite des cerveaux, de l'explosion des inégalités et des retards de développement. Faut-il rappeler les scandales financiers qui se sont multipliés durant les différents mandats de Bouteflika ? Depuis l'affaire Khalifa jusqu'aux procès de l'autoroute Est-Ouest et Sonatrach, sans parler des conditions douteuses dans lesquelles certains opérateurs se sont installés en Algérie dans différents secteurs allant de la téléphonie à l'immobilier ? À chaque fois qu'une main a été tendue, que le pouvoir a appelé à s'engager dans l'investissement productif, on a répondu par un redoublement de prédation. Aujourd'hui, on voudrait faire passer l'amnistie fiscale pour une simple opération technique de bancarisation. Mais le peuple algérien n'a pas à "bancariser" son argent. Même Hadj Nacer qui était à la tête de la Banque d'Algérie témoigne qu'il avait été impressionné par le patriotisme des Algériens qui n'avait pas retiré leur maigre épargne de leurs comptes en banque et postaux au moment de la dévaluation du dinar, en 1994. Il est, de surcroît, tout à fait arbitraire de faire croire que la mesure d'amnistie fiscale va servir l'économie algérienne quand tout au plus on espère faire entrer dans les circuits légaux un tiers de l'argent qui échappe à l'impôt et que cette somme représente encore moins en rapport aux exonérations et avantages accordés chaque année aux privilégiés du système. Cette démarche révèle des choix politico-idéologiques évidents dont le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils constituent une prime offerte à la fraude, et qui suggère que ceux qui ont triché ont eu raison de le faire. C'est un précédent qui pèsera lourd sur l'évolution économique du pays et sur la conscience sociale. Cette amnistie fiscale ne répond à aucun besoin économique, si ce n'est la volonté du pouvoir de renforcer sa base politique à travers les forces de l'argent, y compris sale, la base de l'islamisme ne lui suffisant plus et lui étant même disputée par une partie de l'opposition. Cela nous ramène au début de la crise, au moment où le front de l'idéologie libérale s'accommodait des pires ennemis de l'Algérie pour faire avancer son projet. Il espère le faire aujourd'hui dans un autre rapport de force. La seule fonction de cette amnistie est donc de normaliser ces forces de l'argent et de légitimer le compromis de pouvoir qui s'élabore au détriment essentiellement des forces du travail. Là encore le pouvoir voudrait nous faire croire qu'il n'y a finalement ni victimes ni coupables comme lorsqu'il évoquait une tragédie nationale à propos des crimes terroristes islamistes. Une tragédie tombée du ciel ! Le pouvoir procède comme si les forces de la prédation systématique pouvaient donner naissance à une économie productive, pour ne pas avoir à s'en démarquer et à les dénoncer comme forces de blocage, pour légitimer son patriotisme économique, en vérité son national-libéralisme, qu'il veut faire couvrir par une loi de finances complémentaire. Or procéder par une loi de finances complémentaire pour banaliser la mesure, lui mettre une date limite constituent une autre mystification. Cette "mise en conformité fiscale volontaire" comme voudrait la faire passer le pouvoir est en vérité un acte despotique et c'est encore une fois le despotisme qui en fixera l'ampleur et la portée réelle en fonction de ses seuls intérêts. De la même manière cette amnistie fiscale nous donne les limites des velléités modernisatrices du pouvoir en matière d'éducation ou de procédure pénale au moment où la polémique fait rage. Tout porte à croire que le patriotisme économique n'est rien d'autre que la couverture idéologique, politique et économique d'un compromis d'intérêts, au plan national et international. C'est ce qui explique le silence de la classe politique et des médias qui au mieux doutent du succès d'une mesure d'amnistie fiscale et pour certains, comme le MSP n'hésitent pas à exiger davantage de concessions tandis que les milieux d'argent en exigeront davantage encore au fur et à mesure qu'ils consolideront leurs positions. C'est ce que traduit le silence complaisant des partenaires étrangers qui se plaignent régulièrement du climat des affaires. Au fond, ce soutien est une pression pour aller toujours dans le même sens, prolongeant les pressions antérieures qui ont constitué parfois un véritable soutien au démantèlement de l'appareil productif national, au profit d'une privatisation et d'une internationalisation du capital. C'est, encore une fois, les tenants du néolibéralisme adossé à la rente qui manifestent leur volonté de s'opposer au changement, au risque de voir se poursuivre le délabrement économique, le développement des inégalités, l'exclusion qui pousse à la harga ou au suicide, en passant avec les forces de l'argent sale un compromis à un niveau plus élevé qui scelle le caractère despotique de l'Etat. Ce compromis n'empêchera pas la sous-utilisation de l'appareil de production, l'inefficience du système bancaire et fiscal inadapté à l'économie moderne et livré aux prédateurs avec une fiscalité pénalisant injustement et essentiellement les bas revenus salariaux, comme en atteste la généralisation de la taxe d'habitation ou la diminution de la TAP au détriment du financement des communes. Il ne freinera pas non plus la fuite massive de capitaux, la constitution de fortunes à partir du parasitisme, l'accroissement des inégalités et de la précarité, ni celle de l'injustice et de la marginalisation. Au final le pseudodiscours de vérité sur la situation économique n'aura servi qu'à préparer l'opinion à une amnistie fiscale. Les patriotes et démocrates ne doivent se laisser ni tromper ni décourager par ces velléités de compromis du pouvoir avec les forces de l'argent sale pour maintenir l'hégémonie des courants néolibéraux adossés à la rente. Cette nouvelle tentative de compromis, comme toutes celles qui l'ont précédé avec l'islamisme, se heurtera immanquablement aux contradictions irrésistibles qui vont se développer et à sa propre impuissance à sortir le pays de crises économiques répétées. Aucun pseudo-habillage légal à l'amnistie fiscale ne peut masquer le fait que le peuple rejette l'impunité qui est une nouvelle fois accordée aux privilégiés du système. Cette mesure butera sur la volonté de plus en plus forte du peuple algérien d'arracher son droit à une vie libre, démocratique, de justice et de progrès universel dont une économie productive constituera la base matérielle. Y. T. SG du bureau national du MDS