Le salon de coiffure regorgeait de monde. Le week-end s'annonçait chaud, et les cortèges de mariées qui sillonnaient les artères de la ville dénotaient de l'entrain de certains couples à fêter leur union avant la fin des vacances. Famille oblige, l'été a toujours été synonyme de retrouvailles et de fêtes. Les coiffeuses s'activaient devant les clientes exigeantes, qui voulaient chacune une coiffure à son goût. Les unes veulent des coiffures de soirée, relevées ou sophistiquées. Les autres une coupe, d'autres encore une couleur, un défrisage ou une permanente. Mariées ou simples accompagnatrices, les clientes attendaient patiemment leur tour. La matinée tirait à sa fin. Fin prêtes, certaines mariées rajoutaient une touche finale à leur maquillage ou coiffure. Les paillettes brillaient sur les cheveux ou sur la peau, et quelques-unes poussaient la coquetterie jusqu'à demander un tatouage discret sur le visage ou sur le bras. Les femmes se mesuraient du regard. Elles se jaugeaient les unes les autres, admirant les toilettes, ou demandant parfois un renseignement sur un tel couturier, un tel coiffeur, ou l'adresse d'un bijoutier ou d'un grand magasin d'accessoires... Robe de mariée, ensemble de sortie, jeans, haïk..., ici toutes les tenues se côtoient. Rendez-vous féminin par excellence, les salons de coiffure dans notre société sont, à l'instar des hammams, le monde du papotage, des échanges, du marchandage et surtout des critiques spécialisées des femmes. Un monde qui représente à lui seul le mystère millénaire de celles qui font de leur beauté et de leur coquetterie un subterfuge pour se retrouver et se distinguer. Ferroudja secoue sa chevelure. La patronne compte toujours sur elle pour ouvrir tôt, et les filles, coiffeuses, shampouineuses ou esthéticiennes, sont habituées depuis longtemps à ses réveils matinaux. D'ailleurs, c'est grâce à elle que le salon est toujours propre et bien entretenu. À la fin de chaque journée, Ferroudja frotte, lave et astique plancher, miroir, faïence, vitre, vitrine, et tout ce qui constitue le mobilier du salon, avant de procéder au lavage et à la stérilisation des peignes, brosses, ciseaux, serviettes, bonnets, blouses, collerettes, etc. C'est que Ferroudja loge dans le salon même. Elle n'avait pu obtenir cette faveur auprès de la patronne qu'après un long périple. Native d'un petit village kabyle, cette jeune fille au teint frais et aux cheveux soyeux a dû très tôt quitter les bancs de l'école et ses parents pour chercher du travail dans la grande ville. Les temps sont durs. Son père malade et invalide n'arrivait plus à subvenir aux besoins des siens. Deux de ses frères (les plus âgés) sont partis sous d'autres cieux sous prétexte d'améliorer la situation familiale. Ils avaient délaissé la terre héritée de leurs grands-parents pour courir les contrées lointaines. Hélas aucun des deux n'est revenu. L'aîné – Kamel – avait vite fait de lier sa vie à une Française qui l'a pris sous son aile. Depuis, Kamel est devenu Jean-Marc et père de deux petits garçons – Daniel et François. La famille restée au bled n'est plus qu'un souvenir pour ce fils, qui était pourtant la fierté de la famille. Le cadet, Zahir, lui, n'a pas trouvé mieux que de s'engager dans la marine. Il continue de sillonner les mers de l'univers, sans juger nécessaire de donner de ses nouvelles à ses parents. Seuls quelques émigrés de passage au patelin parlent parfois de ce jeune homme au port altier pour lequel ils envisagent un avenir radieux et une brillante carrière. (À suivre) Y. H. Précisions Une erreur s'est glissée dans l'édition d'hier. Au lieu de publier la 1re partie d'"Une fille pas comme les autres", nous avons publié malencontreusement la 1re partie de "Comme un grain de sable". Aussi nous prions nos aimables lecteurs de nous en excuser.