À première vue, le lecteur de l'avant-projet de révision de la Constitution se félicite de l'officialisation de tamazight. Sauf qu'une lecture globale et un peu plus approfondie du texte révèle la possibilité de diverses interprétations de l'article 3 bis. Au moment où toutes les attentes étaient portées sur l'officialisation effective de la première langue d'Afrique du Nord, dans l'avant-projet de révision de la Constitution, les rédacteurs du texte ont étonné par une manœuvre un peu douteuse. Dans l'article 3 du texte fondamental, il est écrit noir sur blanc que l'arabe demeure "la" langue officielle de l'"Etat". Une telle spécification est d'abord exclusive, puisque dans l'article 3 bis, tamazight est seulement "langue nationale et officielle". Elle n'est donc pas "langue officielle de l'Etat", au même titre et au même rang que la langue arabe. C'est donc un non-sens de dire que tamazight est langue nationale et officielle si, entre-temps, l'arabe est considéré, à part entière, "la" langue officielle de l'"Etat". Cette différenciation est d'autant plus visible lorsqu'il est précisé que pour tamazight, il faut attendre de "réunir les conditions de (sa) promotion en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle", mais toujours pas "d'Etat". Des conditions qui viendront peut-être, un jour, se concrétiser à la faveur de la création de l'"Académie algérienne de la langue amazighe" qui s'appuiera, est-il bien précisé, "à terme", sur les "travaux d'experts". Et de spécifier dans le même texte, qu'il y a "la langue officielle d'Etat" puis une autre seulement "officielle". C'est déjà laisser entendre que les institutions du pays disposent d'une langue et le reste de la société d'une tout autre langue, fût-elle "officielle". Les constitutionnalistes auront, à l'évidence, du pain sur la planche. Le fossé linguistique entre les institutions et le peuple est décidément plus que jamais creusé, voire... constitutionnalisé. L'autre article de la mouture finale du texte fondamental, qui accentue l'arnaque et qui la met à nu, est l'article 178 qui spécifie qu'à l'avenir "toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte" à huit points fondamentaux : "(1) au caractère républicain de l'Etat ; (2) à l'ordre démocratique, basé sur le multipartisme ; (3) à l'islam, en tant que religion de l'Etat ; (4) à l'Arabe, comme langue nationale et officielle ; (5) aux libertés fondamentales, aux droits de l'Homme et du citoyen ; (6) à l'intégrité et à l'unité du territoire national ; (7) à l'emblème national et à l'hymne national en tant que symboles de la Révolution et de la République ; (8) au fait que le président de la République est rééligible une seule fois". On l'aura remarqué, tamazight "langue nationale et officielle" n'y figure pas. Cela offre la possibilité de retirer le caractère officiel à la langue amazighe, à l'occasion d'une prochaine révision de la Constitution, puisqu'on en est déjà à la énième réforme depuis l'arrivée d'Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays, en 1999. Une occultation inexplicable lorsqu'on se souvient que dans les communiqués précédant la publication du texte final, la présidence de la République avait précisé que "cet avant-projet marquera des progrès notamment dans la consolidation de l'unité nationale autour de notre histoire, de notre identité et de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles". Pourquoi donc avoir évité d'octroyer une protection constitutionnelle à une disposition qui découle, de fait, de "notre histoire, de notre identité et de nos valeurs (...) civilisationnelles" ? Mais comme le pouvoir algérien ne pouvait occulter tamazight de la nouvelle Constitution puisque le Maroc l'a élevée au rang de "langue officielle de l'Etat" dans l'article 4 de sa loi fondamentale promulguée en 2011, il s'est contenté de lui donner, timidement et sans conviction, un caractère officiel sans même donner à cette officialité une protection constitutionnelle. À défaut d'en faire autant sinon mieux, le pouvoir a opté pour une officialisation au rabais de tamazight. M. M.