-L'article 3 bis de la Constitution stipule : «Tamazight est également langue nationale. L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques.» Sur le terrain, ce texte n'a pas permis à cette langue d'occuper toute la place qui devait être sienne. Un commentaire… Effectivement, depuis 2002, sur décision politique, il faut le dire, l'actuel président de la République avait décidé de soumettre une petite modification introduite dans la Constitution de 1996 par l'ajout de l'article 3 bis stipulant que tamazight est également langue nationale et que L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. Cette introduction vient confirmer ce qui a été dit depuis 1996. Le préambule de la Constitution de 1996 parlait déjà du triptyque de la personnalité algérienne constituée de l'islam, de l'arabité et de l'amazighité. En 2002, ce constituant vient pour constitutionnaliser l'un des fondements de la personnalité algérienne qui manquait à cette identité qu'est l'amazighité. Le Tamazight est devenu langue nationale depuis cette date et l'Etat, conformément à la question, a pris l'engagement de tout faire pour que cette langue reprenne sa place comme langue nationale de tous les Algériens. Or, cette révision de la Constitution en 2002 n'a pas été suivie immédiatement par l'implication de l'article 3 bis ajouté à l'article 178 de la même Constitution qui formait les principes et les fondements indérogeables de toute révision constitutionnelle. On ne peut pas toucher par exemple au caractère national et officiel de l'arabe, au caractère républicain de la forme de l'Etat ou à l'islam en tant que religion de l'Etat. Ils sont repris dans l'article 178. Aucune initiative de la réforme constitutionnelle ne peut toucher à ces fondements. Or, tamazight introduit en 2002 n'a pas été ajouté à ces fondements de la société algérienne dans l'article 178 contrairement à ce qui s'est passé en 2008, où, immédiatement, l'emblème et l'hymne nationaux ont été ajoutés à l'article 178. Tout le monde se posait alors cette question : pourquoi avec la deuxième réforme post-2002, en 2008, le constituant n'a pas pensé prémunir et garantir à cette langue son épanouissement et son développement en l'ajoutant à l'article 178. Donc, il y a lieu, en cas de réforme prochaine de la Constitution – il y a des débats actuellement et un comité a été constitué – de reformuler l'article 3 bis en le complétant à l'exemple du Maroc avec la Constitution de 2011 et la Libye qui songe déjà à officialiser la langue amazighe, tamazight est également langue nationale et officielle (ou les langues arabe et tamazight sont les langues nationales et officielles de l`Algérie). -Pourquoi l'Etat hésite à donner son véritable statut à cette langue ? Il y a un manque de volonté politique. Il suffit de décider. Ce n'est pas par interpellation de médias. Le constituant doit assumer pleinement ses responsabilités comme l'a assumé le constituant marocain et l'assumera peut-être le constituant libyen qui vient plusieurs années après nous. C'est depuis 1949 que la question amazighe s'est posée en Algérie. Il est temps, 33 ans après le 20 avril 1980, que cette langue ait son statut national et officiel dans sa terre de prédilection, sa terre d'origine. -Concrètement, que peut apporter de plus cette officialisation en faveur de tamazight ? Depuis 11 ans, on constate que cette langue est confinée pratiquement dans deux wilayas. Mais si le constituant a accepté de qualifier cette langue de nationale, le caractère national doit couvrir les 48 wilayas. Ce caractère est facultatif pour les autres wilayas, parce que l'un des textes de référence parlait de «sur demande exprimée sur le territoire national», veut dire que si une des 48 wilayas ne veut pas introduire tamazight comme langue nationale et l'officialiser dans le parcours scolaire, personne ne peut l'obliger à le faire. Or, cette langue, qui doit être proclamée nationale et officielle, interpelle qui de droit pour impliquer sa prise en charge dans la pratique des institutions en évitant des dérogations imputatives à son développement sur tout le territoire national. -33 ans après le 20 avril 1980, quel regard portez-vous sur le parcours de la revendication amazighe ? Tout ce qui peut servir la langue, la culture et l'identité amazighes est bienvenu. Rien n'a été octroyé par le pouvoir mais arraché par les enfants de l'Algérie profonde qui revendiquent leur appartenance à l'amazighité. Tant mieux si tamazight est devenu langue nationale en 2002 et tant mieux si certains établissements l'enseignent. J'ouvre une parenthèse ici, pourquoi le législateur parlait de l'enseignement de tamazight et non de l'enseignement en tamazight ? Quand l'arabe a été réintroduite après l'indépendance, en 1962-1963, il y a eu tellement de textes obligeant les Algériens à étudier la langue et les fonctionnaires à connaître la langue arabeDonc, c'est par décision qu'on doit pouvoir arriver à obliger le système scolaire, l'éducation nationale et les universités à introduire l'enseignement de tamazight et l'enseignement… en tamazight. -Tamazight reste aussi interdit d'entrée dans les tribunaux algériens, dans les textes de loi et dans tout ce qui se rapporte au secteur de la justice… C'est grave, alors que les textes de droit dans le monde entier affirment : nul n'est censé ignorer la loi (article 60 de la Constitution algérienne en vigueur) ; toute personne qui revendique un droit peut agir devant la justice en vue de l`obtenir ou de le protéger ; en cours d`instance les parties bénéficient de chances égales dans l`exposé de leurs prétentions et de leurs moyens de défense (article 3 du code de procédure civile et administrative algérien en vigueur – loi n° 08-09 du 25 février 2008). Pendant l'ère coloniale, nos parents se rappelaient que lorsqu'un Berbère se présentait devant une juridiction, il avait droit à un «tarjmane» (interprète). Il parlait dans sa propre langue maternelle et c'était aux autres de trouver un interprète pour transmettre fidèlement ce qu'il voulait dire. Dans l'Algérie indépendante, la justice n'accepte pas cet état de justesse sociale et de justice. On ne peut pas obliger une mère qui n'a jamais été à l'école – ce n'est pas de sa faute – à parler dans une langue qu'elle ne connaît pas. Pourquoi le pouvoir judiciaire ne suit pas la logique et l'esprit de la Constitution et accepter que cette langue soit utilisée dans les tribunaux, dans les plaidoiries comme l'attendait le constituant dans l'article 3 bis (comment concilier dès lors cette approche avec l`article 8 du CPCA supra qui exige que les procédures et actes judiciaires, tels que les requêtes et mémoires, doivent, sous peine d`irrecevabilité, être présentés en langue arabe – et non en langue nationale – et que les décisions sont rendues en langue arabe, toujours sous peine de nullité soulevée d`office par le juge). Gageons que le fleuve de la réconciliation du pouvoir avec la langue amazighe, langue nationale et officielle, ne soit détourné de son parcours naturel.