Le procès très attendu opposant l'écrivain et journaliste Kamel Daoud au prédicateur salafiste, Abdelfattah Hamadache Zeraoui, a eu lieu, hier matin, au tribunal correctionnel de la cité Djamel, à Oran. En réaction à une fetwa lancée contre lui par Abdelfattah Hamadache, exhortant l'Etat algérien à appliquer la peine de mort contre l'écrivain pour apostasie, Kamel Daoud a officiellement porté plainte pour menaces de mort. Cela s'est passé en décembre 2014, alors que l'écrivain faisait la promotion de son livre Meursault, contre-enquête, candidat au prix Goncourt. "Kamel Daoud a tenu des propos blasphématoires. Il a porté atteinte à Dieu, à notre religion et à toutes nos valeurs. Je me suis senti concerné comme n'importe quel musulman algérien, et j'ai décidé d'appeler l'Etat à appliquer la charia", explique le salafiste, seul à la barre, sans se faire assister par un avocat. Très à l'aise dans le maniement du verbe arabe, il poursuit : "On parle d'appliquer la peine de mort pour les trafiquants de drogue et assassins d'enfants, pourquoi ne pas l'appliquer pour apostasie comme le stipule l'islam ?", s'est-il interrogé, en réfutant le terme de fatwa, tout en persistant à défendre son "droit" de réclamer la condamnation à mort de Kamel Daoud qui, a-t-il encore signalé, aurait refusé de débattre avec lui sur un plateau de télévision. Des regrets ? Abdelfattah Hamadache n'en avait pas, et a continué, durant toute l'audience, "avec honneur" à défendre "la justesse de son acte". Dans sa plaidoirie, le représentant du plaignant, Me Fodil Abderrezzak, a déploré que l'accusé n'ait pas exprimé de remords d'avoir, ainsi, jeté en pâture un écrivain qui "produit des idées et du sens, et non pas des menaces". "La fatwa de l'accusé a valu à mon client de nombreux ennuis. Il aurait pu engager le débat au lieu d'appeler ainsi au meurtre", poursuit l'avocat en citant la lettre écrite par un journaliste américain à Kamel Daoud pour lui faire quelques reproches sur sa tribune "Cologne, lieu de fantasmes". "Au lieu de cela, il a appelé au meurtre et au lynchage sans se soucier de ce que son appel pouvait trouver écho quelque part et mettrait la vie de notre client en danger", a-t-il regretté en évoquant la mémoire des journalistes assassinés durant les années 1990. Pour Fodil Abderrezzak, la fetwa cachait mal les intentions du salafiste, par ailleurs membre de la Ligue algérienne des oulémas et salafiste et chef du parti non agréé du Front de la sahwa islamique, de profiter de la célébrité naissante de l'écrivain à des fins politiques. "Si Kamel Daoud était réellement coupable d'un crime, l'accusé aurait dû le poursuivre en justice", a-t-il conclu en réclamant la condamnation d'Abdelfattah Hamadache au dinar symbolique. De son côté, le représentant du ministère public a admonesté l'accusé. "Il fallait emprunter les voies de la justice et non pas se substituer aux instances officielles", lui a-t-il lancé en rappelant le code pénal et son article 144-bis qui stipule la condamnation à des peines allant de trois à cinq années pour offense au prophète, au dogme ou préceptes de l'islam... "Vous deviez porter plainte auprès de la justice et non pas appeler au meurtre", a-t-il souligné, en requérant six mois de prison ferme et 50 000 DA d'amende. Le verdict a été mis en délibéré et sera rendu la semaine prochaine. S. Ould Ali