Au-delà de son joli minois, Amina Belabed est le visage d'une nouvelle génération d'artistes engagés. La jeune Annabie retrace, pour nos lecteurs, son parcours, son aventure dans l'émission "Jornane El-Gosto" et n'hésite pas à livrer aussi ses déceptions. Liberté : Tout d'abord, racontez-nous votre parcours ? Quels ont été vos premiers pas dans la comédie et le théâtre ? Amina Belabed : Aussi loin que je m'en souvienne, et depuis toute petite, j'ai toujours été attirée par les arts du spectacle, la comédie et la chanson. Je vais même dire que je suis née pour l'art. D'ailleurs, je ne sais pas faire autre chose aujourd'hui. Ma carrière artistique a véritablement commencé par le chant à la chorale nationale. Ce n'est qu'ensuite que j'ai intégré le théâtre régional de Annaba. J'ai été également animatrice à Radio Annaba de 2006 à 2007. C'était une période-charnière dans ma vie : il fallait que je tranche, il fallait que je prenne une décision pour mon avenir. Ce n'est qu'alors que je me suis dirigée vers le théâtre où j'ai frappé à plusieurs portes et où je ne connaissais personne. Quelque temps après, on m'a appelée pour une pièce où jouaient des piliers du théâtre de Annaba, pour ne pas dire des monstres sacrés du 4e art en Algérie. J'ai cité Kamel Kerbouz, Toufik Mimiche, Kamel Rouini ou encore Abdelhak Benmaârouf. J'étais la plus jeune. Toufik Mimiche est, hélas, décédé quelque temps après notre première collaboration. Quant à Kamel Kerbouz, il s'en est allé, lui, juste après avoir monté une pièce où j'incarnais trois personnages en même temps ainsi qu'une autre pour enfants où il officiait en tant que metteur en scène. Dans cette production, j'avais posé ma voix dans la bande son et mes chansons faisaient partie intégrante de la pièce. Je dois rendre hommage aujourd'hui à ces gens qui m'ont appris tout ce que je sais. À eux deux, ils m'ont appris davantage que tous les metteurs en scène qui m'avaient dirigée à l'époque. Ils ont suscité en moi cette folle envie d'exercer cet art, ce métier que je voulais tant apprendre. C'est donc surtout leur souvenir que je retiens de mon passage au théâtre de Annaba. Où vous classeriez-vous donc aujourd'hui ? Chanteuse, animatrice ou comédienne ? Je suis artiste. Je ne veux pas me mettre dans une case. J'ai, certes, commencé par la chanson, mais comme je préfère la comédie, on va alors dire que je suis comédienne. Que pensez-vous de la situation actuelle du théâtre algérien ? Pour parler franchement, la situation est très difficile. Les petits théâtres se meurent peu à peu, faute de subventions. Aucun effort n'est entrepris pour les préserver. À titre d'exemple, le théâtre El-Qaws de Mascara, pour ne citer que celui- là, vient de fermer ses portes, alors qu'il était tenu par de jeunes comédiens qui s'y produisaient régulièrement en y consacrant leur temps et leurs moyens. Ces derniers n'ont jamais été soutenus à la hauteur de leurs efforts ni de leur talent, immense, du reste ! Il y a aussi le cas d'El-Mouja, de Hmida El-Ayachi, l'ancêtre des théâtres privés qui, lui non plus, n'a pas survécu et n'a bénéficié d'aucune aide. Les comédiens qui aiment vraiment ce métier se retrouvent donc dans une situation très difficile avec à la clé le chômage et l'absence d'espace pour les répétitions. Ces conditions peu propices à la créativité attentent même à une vie digne. Ce sont des conditions extrêmement pénibles, et rares sont ceux qui peuvent vivre de leur métier. Bien sûr, à côté, il y a les théâtres nationaux et régionaux qui, malgré tous les moyens mis à leur disposition, n'ont plus aucune âme. C'est pourquoi la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Assurément, vous vous êtes fait connaître par le grand public dans l'émission satirique "Jornane El-Gosto", suivie par Ness Estah. Comment a commencé cette aventure ? En réalité, c'est suite à une rencontre avec le comédien, scénariste et metteur en scène Abdelkader Djeriou, en 2007, lors de la représentation d'une pièce théâtrale où j'avais le rôle principal. On est resté depuis toujours en contact et on se voyait souvent lors des festivals. En 2014, un nouveau personnage devait intégrer l'équipe de "Jornane El-Gosto". C'est à ce moment-là qu'il m'a proposé de rejoindre la fameuse équipe. Comment est né le personnage de Femina que vous incarniez dans cette émission ? Il est en partie inspiré d'un personnage dont j'avais déjà joué le rôle dans la pièce théâtrale Sawaeq, une femme rebelle, libérée et engagée. J'avais donné beaucoup de ma personne et de mon temps pour créer et camper ce personnage. Femina, un peu pour féministe. Elle essaye constamment de se battre pour les droits de la femme et pour améliorer la condition féminine. Toujours à conseiller les autres personnages féminins (Kapsoula et Hadda ndlr), afin de les faire bouger, de s'imposer et de tenir tête, notamment à leurs époux. Certes, il y a une partie de moi dans ce personnage. C'est évident puisque c'est moi qui le nourrit et qui lui apporte sa subsistance. Ceci dit, je ne voudrais jamais vivre comme Femina, l'épouse d'Abou Oubeïda, un religieux hypocrite et misogyne. Un couple aux antipodes de celui formé par Emy (Hanane Boudjemâa, ndlr) et Bahlitou (Nabil Asli, Ndlr). Femina est une rebelle alors qu'Emy était une femme plus soumise, sensible et romantique. Avec Bahlitou, ils ont incarné un couple d'intellectuels, un peu coincés, timides et vieux jeu. Comment s'est effectuée votre intégration dans le groupe ? Vous savez, quand on rejoint un groupe, il faut prendre en considération les tempéraments de chacun. Tout le monde n'a pas le même humour, la même façon de voir les choses, la même conception de la vie... On doit alors gérer beaucoup de choses à la fois. L'équipe se connaissait déjà depuis 2 ans avant que j'arrive. Je peux dire que mon expérience à Jornane El-Gosto a été plutôt dure. Ce n'est pas facile d'apporter tous les jours quelque chose de nouveau. On réfléchi tout le temps, on doit faire du neuf et être aux aguets constamment. Malgré notre bonne entente et une ambiance bon enfant, on ne cessait de revenir toujours à la même question : "Et maintenant, qu'est-ce qu'on va faire ?" On devait se renouveler sans cesse. Comment élaboriez-vous vos sketchs ? Décrivez-nous une journée-type dans les coulisses ? Abdelkader Djeriou prépare tout au préalable. Il nous donne chaque jour une feuille de route, un schéma à suivre. Il nous propose ainsi le thème du jour, qui coïncide souvent avec l'actualité politique ou sociale et la manière de l'intégrer dans nos sketchs. C'est très proche de l'improvisation. Dans la plupart des cas, on se réunit avec les autres comédiens et les metteurs en scène, on suggère des sujets, on se conseille les uns les autres, on émet des avis, des suggestions. "Que dirais-tu d'intégrer ceci ou cela, pourquoi n'ajouterais-tu pas cette blague au lieu de celle-ci ?". Notre metteur en scène est toujours resté très ouvert à nos propositions, mais c'est lui qui, au final, canalise et affine notre travail. Les épisodes étaient réalisés tous les jours durant le mois de Ramadhan. Comment faisiez-vous pour soutenir ce rythme ? C'était épuisant ! On commençait vers 13h tous les jours. Deux semaines avant le début du mois de Ramadhan, on répétait, on mettait quelques épisodes en boîte. On travaillait, certes, tout au long de l'année avec l'émission hebdomadaire qui était diffusée tous les jeudis, mais rien n'égalait l'ambiance et l'esprit du mois de ramadan. Malgré toutes les difficultés, cette période avait un charme unique. La matière était préparée par Abdelkader, et on développait à notre tour nos personnages, suivant l'actualité et les évènements importants qui se déroulaient dans le pays ou à l'international. Tout prenait forme une fois que les costumes, les accessoires, le maquillage et la mise en scène étaient réunis. On bouclait généralement les répétitions vers 18h-18h30. Nous nous reposions quelques instants avant de rompre le jeûne dans les studios à Mahelma, à Alger, avant le début du tournage. On a travaillé, je dois dire, dans d'excellentes conditions. Quels sont les moments les plus difficiles ou les plus agréables vécus lors du tournage ? Je dois avouer que j'ai laissé un peu de ma personne dans cette émission. J'ai quitté Jornane El-Gosto, qui était devenu Ness Esstah, cinq jours avant son arrêt officiel. Je suis revenu lors du dernier jour, le 23 juin, lorsque l'émission a été définitivement arrêtée. C'était d'ailleurs le jour de mon anniversaire. Mais, assurément, le moment le plus difficile que j'ai vécu c'était lors ma première année. Cinq jours seulement après mes débuts, ma mère est décédée. Après ça, j'ai perdu goût à la vie, ma vie n'avait plus de sens, tout est devenu amer. J'étais obligée de me rendre, pour les funérailles de ma mère, à Annaba pour seulement trois jours et revenir ensuite à Alger pour continuer l'émission. J'ai chanté, dansé quelques jours après. J'ai refoulé mon deuil sur mon travail. C'est à partir de là que je me suis rendue compte que j'étais vraiment amoureuse de ce métier. Le moment le plus agréable vécu à Jornane El-Gosto, c'était lorsque l'on a présenté un spectacle à Sidi Bel-Abbès pour les enfants cancéreux. C'était paradoxalement l'un des moments les plus joyeux de ma carrière. Quelle a été votre réaction à l'annonce de l'arrêt de l'émission sur KBC ? J'en ai pleuré, alors que je n'ai pas versé de larmes lorsque ma mère est morte. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai aussitôt entonné la chanson patriotique Mawtini. L'épreuve était d'autant plus dure à vivre que des gens ont été jetés en prison. Oui, j'étais extrêmement malheureuse ce jour-là... Quel est l'écho que vous avez reçu du public après l'arrêt "inopiné" de l'émission ? On a reçu énormément de réactions de gens qui regrettaient l'arrêt brusque de l'émission. Beaucoup de gens nous réclament à ce jour et réclament le retour de l'émission. Justement, à votre avis pourquoi a-t-on si peur de l'humour en Algérie ? C'est surtout le message véhiculé à travers l'humour qui fait peur. Tout est dans la subtilité, c'est là qu'on se rend compte de l'intelligence d'un metteur en scène ou d'un comédien. Les Grecs ont créé, d'ailleurs, la satire pour exprimer leurs désaccords avec les lois de la Cité et même avec les dieux. L'humour éveille les consciences donc... Oui, s'adresser au public à travers l'humour et la comédie est la meilleure façon de transmettre un message. Faire réfléchir et susciter l'interrogation, c'est aussi faire réagir. D'où cette fameuse peur que vous évoquiez. Quels sont vos projets actuellement ? J'ai deux concepts d'émissions de télévision que je peaufine actuellement. Je travaille sur une émission pour enfants avec Youcef Baâlouche, un spécialiste dans l'écriture pour enfants qui m'a proposé une idée originale qui m'a plu. De même que j'apprécie son approche de l'animation à la télévision. On travaille déjà sur le contenu. L'autre concept a trait au tourisme, l'artisanat et l'art culinaire. Abdelkrim Boutaba et l'humoriste Pipo feront partie de l'équipe, tandis que moi je serai la conceptrice, une activité dont je veux faire mon créneau pour l'avenir. Vous l'aurez peut-être deviné mais je cherche dans tout ça surtout mon indépendance ! Entretien réalisé par : Yasmine Azzouz