Alors que rien n'a encore filtré de la commission d'enquête sur l'assassinat de Hariri, Damas, vers qui tous les regards se sont tournés, annonce le rassemblement de ses troupes stationnées au Liban dans la plaine de la Bekaa, frontalière de la Syrie, comme “imminent”. C'est que les pressions internationales sont croissantes sur le président Bachar El-Assad, destinataire d'une sommation, en bonne et due forme, de la part de Bush. Le ministre libanais de la Défense, Abdel Rahim Mourad, qualifié de proche de Damas, n'a toutefois pas indiqué de date précise, reconnaissant que le “dossier est sur le feu”. Le ministre avait en personne annoncé, la semaine dernière, que la Syrie s'apprêtait à entamer, dans les heures qui viennent, le dernier redéploiement de ses troupes vers la Bekaa. Dans l'esprit, selon lui, des accords de Taïef qui, en 1989, stipulaient un retrait total syrien du Liban. Maniant la carotte et le bâton, la Syrie a parlé d'accélérer le rythme des retraits de ses troupes, tout en brandissant la menace de remettre en cause le processus si des provocations contre Damas et le gouvernement de Beyrouth se poursuivent. Les militaires syriens, même si leur présence s'est faite plus discrète depuis l'attentat contre Hariri, étaient encore positionnés autour de Beyrouth, à l'est, dans la montagne du Metn, dans le nord du pays et dans la Bekaa où ils sont plus nombreux. Pour Washington, l'heure n'est ni aux tergiversations ni aux fuites en avant. Le sous-secrétaire d'Etat américain, David Satterfield, qui se trouve depuis dimanche à Beyrouth, a mis en garde Damas contre une tentative de jouer la carte de la déstabilisation du Liban. La Syrie sera tenue pour responsable de tous les incidents qui pourront se produire au Liban, a-t-il déclaré dans des propos rapportés par la presse libanaise, mettant en doute l'annonce faite par les Syriens. D'autre part, le département d'Etat américain a estimé que le redéploiement syrien était loin de répondre aux exigences des Nations unies, estimant que la seule référence sur cette question reste la résolution 1 559 du Conseil de sécurité, demandant, en termes clairs et sans équivoque, à toutes les forces étrangères de quitter le Liban. La Grande-Bretagne partage entièrement la position des Etats-Unis. La secrétaire d'Etat au Foreign Office, Symons of Vernheam Dean, a lancé depuis Beyrouth un nouvel appel à l'application de la résolution 1 559. L'opposition libanaise, qui rêve de réaliser sa “révolution des Cèdres”, à l'identique de celles qui ont emporté successivement les pouvoirs autoritaires en Géorgie et en Ukraine, ne cesse, pour sa part, de mettre en garde la Syrie contre une tentative de déstabilisation du pays pour différer le retrait de ses 14 000 militaires, interprétant les avertissements des autorités de Damas comme des menaces. En parallèle aux pressions politiques internationales, l'équipe de l'Onu, chargée d'enquêter sur l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais, poursuit sa mission au Liban. Elle s'est rendue sur les lieux de l'attentat et a été reçue par la famille du défunt, elle doit boucler son enquête dans un mois. Le secrétaire général de l'Onu a été chargé par le Conseil de sécurité de lui présenter un rapport “urgent sur les circonstances, les causes et les conséquences” du meurtre de Hariri. Des milliers de Libanais défient le pouvoir Des milliers de Libanais étaient toujours rassemblés, hier matin, dans le cœur de Beyrouth, où ils ont passé la nuit à l'appel de l'opposition, bravant l'interdiction décrétée, la veille, par le gouvernement pro-syrien qui s'apprête à un bras de fer au Parlement. Les manifestants sont restés toute la nuit sur la place des Martyrs, encerclés par l'armée, entonnant l'hymne national, scandant des slogans hostiles à la Syrie et appelant la population à participer à ce "soulèvement de l'indépendance", un mouvement né des manifestations suscitées par l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri le 14 février. Des députés de l'opposition, portant une écharpe rouge et blanche, devenue l'emblème de l'opposition, se trouvaient aux côtés des manifestants et haranguaient la foule, se disant déterminés à poursuivre ce mouvement, jusqu'à la chute du gouvernement, qui affronte en milieu de matinée une motion de censure de l'opposition au Parlement. L'armée libanaise avait depuis dimanche soir bloqué les accès du centre-ville. Mais des soldats se montraient bienveillants avec les manifestants, leur indiquant des passages encore ouverts à pied pour accéder à la place des Martyrs. Depuis 12 jours, des milliers de personnes se rassemblent chaque soir sur la place des Martyrs, rebaptisée place de la Liberté, pour réclamer la vérité sur l'assassinat de Rafic Hariri et le retrait des troupes syriennes. D. B.