Sorti en France en janvier dernier, le livre vient d'être (re) publié, en Algérie, par les éditions Frantz Fanon. Regard porté sur l'immigration, l'identité nationale, l'intégration, la laïcité et l'islam. L'essai est écrit par quatre personnes d'âges, d'origines, de nationalités et de parcours différents, que rien ne prédisposait à se croiser : Xavier Driencourt (60 ans), Français de souche, ancien ambassadeur de France à Alger, aujourd'hui Inspecteur général au Quai d'Orsay et catholique pratiquant ; Rachid Arhab (61 ans), journaliste de télé, ex-membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Français d'origine algérienne et athée ; Karim Bouhassoum (35 ans), Franco-Algérien (Français de naissance), fonctionnaire au Conseil régional de Franche-Comté à Besançon et musulman pratiquant ; et Nacer Safer (37 ans), ex-sans papier régularisé (grâce à l'aide de X. Driencourt), Algérien croyant intéressé par la nationalité française. « Quatre nuances de France », livre collectif proposé par l'ex-ambassadeur français, se présente comme un débat dépassionné sur des questions à la fois sensibles et compliquées, souvent conflictuelles, dans une France « laïque » qui, aujourd'hui, fait face au fossé entre les élites et la majorité des Français, au blocage de l'ascenseur social et au développement des idées xénophobes. Un débat à quatre voix engagé sur le « vivre-ensemble » avec, comme toile de fond, la relation algéro-française puisque, chacun des auteurs, directement ou indirectement, entretient un lien avec l'Algérie. Un débat sur des sujets d'actualité, qui taraudent la société française : Nation, République, intégration, laïcité, banlieues, éducation, Islam, élite, catholicisme, etc. Des témoignages utiles pour savoir où nous voulons aller Dans sa préface, Jean-Louis Debré, homme politique français, parle carrément de « récit passionnant ». Pour l'ancien ministre de l'Intérieur, ex-président de l'Assemblée nationale et ex-président du Conseil constitutionnel, les quatre auteurs ont en commun « un rêve d'avenir partagé ». La République, affirme-t-il, c'est qu'un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay comme Xavier Driencourt « comprenne les aspirations » du militant socialiste français d'origine algérienne (Karim Bouhassoun), écoute le sans-papiers « venu (...) de l'autre rive de la Méditerranée » (Nacer Safer) et prenne à témoin un journaliste de la télévision (Rachid Arhab). « Belle leçon de tolérance, de respect de l'autre qu'ils nous livrent aujourd'hui, au moment même où certains veulent remettre en cause les fondements de la République », ajoute l'ancien ministre, tout en rappelant que ces « témoignages sont utiles pour savoir où nous voulons aller, pour tracer le sillon de la France du XXIème siècle. » De son côté, l'actuel président de la Fondation pour l'islam de France, Jean-Pierre Chevènement, plaide pour la réconciliation entre les musulmans et la République. Dans son avant-propos, l'homme politique français, plusieurs fois ministre et député, maire de Belfort, et sénateur, laisse entendre que ce livre à 4 voix lui fait penser à « deux peuples qui n'en finissent pas, depuis un demi-siècle, de se séparer parce qu'ils ressentent au fond d'eux-mêmes qu'ils ne bâtiront qu'ensemble leur avenir ». Plus loin, il constate que « dans les temps d'épreuves, c'est autour de la République et de la nation que les Français tendent à se rassembler ». Aussi, trouve-t-il, que ces échanges à 4 sont « positifs », dans le contexte de « secousses actuelles et prévisibles », puisqu'ils abordent deux points « centraux », à savoir : le rapport à la nation et le rapport à la laïcité « donc à la religion ». « La République, écrit-il, n'est pas une juxtaposition de communautés repliées sur elles-mêmes. Elle autorise la différence sous le toit des principes républicains, dont le premier est le respect de la loi commune ». Approchant le champ des malentendus, Chevènement observe « une certaine incompréhension du concept de laïcité », en insistant sur le fait que celle-ci « n'est tournée contre aucune religion (et qu'elle) fournit un cadre de neutralité qui permet la coexistence de toutes les religions, y compris l'islam ». Des sujets qui nous « parlent » directement... Ecrit à la veille des attentats du 13 novembre 2015, le livre de Xavier Driencourt, Rachid Arhab, Karim Bouhassoun et Nacer Safer, apparaît à ses yeux comme un signe de cette France qui « recommence à s'aimer », car l'ouvrage met à nu « les interrogations et les doutes qui taraudent notre pays, et particulièrement sa jeunesse ». Pour l'ancien ministre, son pays doit relever des « défis à long terme », en faisant face au « terrorisme djihadiste » et à « l'afflux de réfugiés politiques et plus encore de migrants économiques ». « Tout cela est inscrit dans les déséquilibres économiques et démographiques, qui ne cessent de s'accroître dans un monde toujours plus interconnecté, et ne peut que se répercuter sur une société française, dont le visage a déjà été profondément modifié », souligne encore l'homme politique. Quant aux éditions Frantz Fanon, elles justifient la publication du livre en Algérie par le « dialogue original entre un haut fonctionnaire français qui ne cache pas son amitié pour l'Algérie, et trois autres personnes d'origine algérienne ». Plus explicite, l'éditeur algérien signale que les 4 auteurs « abordent tous les sujets sensibles dans la société française », citant en particulier « l'immigration, l'identité nationale, l'intégration, la laïcité et l'islam ». Il insiste en outre sur la capacité des 4 personnes « de discuter, de dialoguer et d'échanger sereinement sur des sujets sensibles », malgré leurs différences. Une manière de nous interpeller sur l'urgence des débats à mener dans un pays comme l'Algérie, en proie à d'innombrables interrogations sur l'avenir de la nation et de la République algériennes, ainsi que sur le vivre-ensemble et sur les perspectives d'avenir, surtout pour les jeunes générations. Mais, ce que ne dit pas la maison d'édition de Tizi-Ouzou, c'est que l'ouvrage aborde également des sujets qui nous « parlent » directement, comme les interrogations Rachid Arhab sur la « double nationalité », le choix de Nacer Safer qui, en dépit des « très mauvais souvenirs » de la vie clandestine, s'est établi en France pour ne plus revivre cette « vie morne » en Kabylie et les changements opérés dans le pays via « le phénomène de religiosité » et des « harragas ». Que dire de plus ? « Quatre nuances de France, quatre passions d'Algérie » est un livre « subjectif » qui, à travers la vie et les expériences de ses coauteurs, se veut un message à cette France qui se cherche, l'invitant à entreprendre le « travail de fond », quant à la protection des valeurs républicaines et citoyennes, à la « désacralisation » des débats « sans préalable religieux ». Hafida Ameyar « Quatre nuances de France, quatre passions d'Algérie » de Xavier Driencourt, Rachid Arhab, Karim Bouhassoun et Nacer Safer. Editions Frantz-Fanon, septembre 2016, 273 pages, 900 DA.