Le conseil de l'ordre des professions médicales – médecins, chirurgiens-dentistes et pharmaciens – est né au début des années 90. Une concession qui a été arrachée – au forceps – aux pouvoirs publics hostiles alors à toute forme d'organisation professionnelle qui ne s'inscrivait pas dans le sillage de l'article 120 des statuts du FLN, parti unique, parti Etat. Qu'à cela ne tienne, le pouvoir a, à la faveur de l'ouverture démocratique, décidé de s'accommoder des ordres professionnels et a donné son consentement à la création de celui des médecins. Le décret exécutif 92-276 portant code de déontologie médicale est promulgué en date du 6 juillet 1992. Depuis, tant bien que mal, les conseils régionaux et le conseil national de l'ordre essaient d'exister et de travailler à l'organisation des corporations. Il faut bien reconnaître que les trois corps professionnels, médecins, chirurgiens-dentistes et pharmaciens, désabusés et démobilisés, boudent cette organisation. Les pouvoirs publics ne sont pas en reste, puisque le ministère de la Santé et ses démembrements au niveau des wilayas – les directions de la santé – ne lui facilitent pas les choses. À ce jour, un quart de siècle après, le conseil de l'ordre n'a pas pu s'émanciper totalement de la tutelle de l'administration. À titre d'exemple, les élections des conseils se font toujours sous l'autorité de celle-ci et, si le code de déontologie médicale confère au conseil de l'ordre toute son autorité notamment par ses articles 1 et 5, la réalité est tout autre. Le nouveau projet de loi sanitaire qui sera proposé – ces jours-ci aux parlementaires – et qui sera, sans doute, voté n'arrange pas les choses. Cette loi vient, contre toute attente, vider de sa substance le décret exécutif portant code de déontologie médicale. De quoi s'agit-il ? Jusque-là, l'inscription sur le tableau de l'ordre des médecins n'était exigée par l'administration qu'aux seuls médecins désireux de s'installer en pratique libérale. Aucune autorisation d'exercice n'était délivrée sans l'attestation d'inscription sur le tableau de l'ordre correspondant. La pratique médicale dans le secteur public (santé publique et secteur universitaire confondus) n'était pas sujette à l'obtention de cette attestation. Les employeurs n'étant pas regardants, malgré l'obligation faite par l'article 204 du code de déontologie médicale. Voici ce que dit cet article : Nul ne peut exercer la profession de médecin, de chirurgien-dentiste, de pharmacien en Algérie s'il n'est pas inscrit au tableau, sous peine d'encourir les sanctions prévues par la loi. Cette disposition ne s'applique pas toutefois aux médecins, aux chirurgiens-dentistes, aux pharmaciens en activité dans la santé militaire ainsi qu'à ceux n'exerçant pas effectivement la médecine, la chirurgie dentaire ou la pharmacie. Les médecins du secteur public inscrits au tableau de l'ordre ont fait la démarche de leur propre volonté, certains par manifestation d'un intérêt pour l'ordre, d'autres – ils sont plus nombreux – parce qu'il y a des avantages à y être inscrits. L'obtention de l'attestation d'inscription pour les besoins de visas pour l'étranger en est un. L'obligation d'inscription au tableau de l'ordre professionnel correspondant est édictée par l'alinéa 2 de l'article 174 de la loi sanitaire qui va être proposé au parlement. L'exercice des professions médicales est subordonné aux conditions suivantes : les professionnels de santé sont tenus de s'inscrire au tableau de l'ordre de la profession correspondante. Une disposition qui vient ainsi conforter celle contenue dans l'article 204 du code de déontologie médicale. Seulement, par son article 369 alinéa 2, ce texte de loi désavoue l'article précédent et autorise les praticiens de santé publique et les universitaires à exercer la médecine sans être inscrits au tableau de l'ordre. Ainsi, cet article, par son alinéa 2, valide une pratique en cours mais jusque-là marginale : l'exercice de la médecine, de la chirurgie dentaire et de la pharmacie est soumis à l'inscription obligatoire aux tableaux de l'ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des pharmaciens. Toutefois, les praticiens médicaux recrutés en qualité de fonctionnaire ne sont pas soumis à la procédure d'inscription aux tableaux, cités à l'alinéa premier ci-dessus. L'acte de recrutement emporte leur inscription d'office auxdits tableaux. La nouvelle loi sanitaire qui nous est proposée par l'Etat fait donc une distinction entre les médecins du secteur public et ceux qui exercent en libéral. Les premiers semblent être dans les bonnes grâces des pouvoirs publics et ont leur totale confiance, tandis que les seconds sont frappés de suspicion. C'est ainsi que les premiers ne sont pas tenus par l'obligation d'être inscrits au tableau de l'ordre pour exercer leur métier, alors que les seconds ne sont pas exonérés de cette inscription et doivent obligatoirement y figurer – faute de quoi ils n'ont pas accès à la profession. Il y a donc dans notre pays des médecins du premier collège et des médecins du deuxième collège. Le gouvernement algérien innove puisque la pratique médicale est, dans le monde entier, subordonnée à l'inscription au tableau de l'ordre, et ce, quel que soit le mode d'exercice. L'acte de recrutement par la fonction publique emporte leur inscription d'office auxdits tableaux. Une précision pour le moins étonnante. En quoi l'acte de recrutement doit supplanter une disposition édictée par un décret exécutif ou par un article de loi ? Quelle forme de hiérarchie, de prééminence ou encore de primauté est donc exercée par un recrutement sur un texte de loi ? Le fait d'être recruté par le secteur public autorise donc à outrepasser l'article 204 du code de déontologie médicale et l'article 174 de la loi qui va être proposée au vote des parlementaires. L'article 369, par son alinéa 2 désavoue le précédent (article 174) et viole les dispositions contenues dans le code de déontologie médicale. Mais pas seulement, il viole aussi l'article 366 de ce même code qui commande au conseil de l'ordre de veiller à l'organisation de l'accès à la profession de médecin par la tenue du tableau : Les conseils de l'ordre veillent à l'organisation de l'accès à leur profession par la tenue de leurs tableaux respectifs. Dès lors que les praticiens du secteur public ne sont pas inscrits sur le tableau de l'ordre et qu'ils ne paient pas leurs cotisations -un acte rendu obligatoire par le code de déontologie médical, article 180 : Les médecins, chirurgiens dentistes, pharmaciens doivent obligatoirement verser annuellement leurs cotisations auprès des sections ordinales régionales respectives, sous peine de sanctions- ils ne peuvent ni être électeurs ni éligibles aux conseils régionaux ou au conseil national. Or, dans les listes électorales, un quota est réservé aux deux catégories de praticiens. Une contradiction, chacun en conviendra. Comment peut-on, en effet, être électeur et éligible si on n'existe pas sur le tableau de l'ordre ? Les médecins du secteur public, par le truchement de l'article 175 de ce nouveau texte de loi, seront désormais des fonctionnaires régis par le statut général de la fonction publique. Cette exonération de l'inscription sur le tableau de l'ordre de cette catégorie de praticiens est liée à cette qualité de fonctionnaire de l'Etat. Une pratique qui existe dans de nombreux pays, à l'exemple de la France. Sauf que cette dérogation ne vaut -dans ce pays et les autres- que pour les médecins qui ne sont pas amenés dans l'exercice de leurs fonctions à pratiquer la médecine. Ce qui est d'ailleurs précisé aussi par l'article 204 du code de déontologie médical. Une exception qui peut donc concerner, à titre d'exemple, les médecins inspecteurs du ministère de la Santé, ceux qui exercent dans les servies d'hygiène et de prévention scolaires et ceux qui sont employés par les caisses de sécurité sociale... À l'instar des praticiens qui exercent dans les services de santé militaire ou de ceux qui sont de nationalité étrangères et qui sont exemptés, dans le monde entier et en Algérie (article 204 du code de déontologie médical), de l'inscription au tableau de l'ordre, ces médecins ne sont ni électeurs, ni éligibles. Les praticiens du secteur public, comme ceux qui exercent en libéral, sont tenus, par la nature même des actes qu'ils vont dispenser au quotidien dans l'exercice de leur fonction, à l'inscription au tableau de l'ordre des professions correspondantes. Les articles un et deux du décret exécutif 92-75 du 6 juillet 1992 portant code de déontologie médicale sont, à ce titre, clairs. Il est inintéressant de les rappeler. Article 1: La déontologie médicale est l'ensemble des principes, des règles et des usages que tout médecin, chirurgien dentiste et pharmacien doit observer ou dont il s'inspire dans l'exercice de sa profession. Article 5 : le médecin, le chirurgien dentiste ou le pharmacien, lors de son inscription au tableau, doit affirmer devant la section ordinale régionale compétente qu'il a eu connaissance des présentes règles de déontologie et s'engager par écrit à les respecter. Quelle est donc cette logique qui doit faire que les praticiens du secteur public soient dispensés de tels commandements ? À moins de mettre au placard définitivement ce décret exécutif -ce texte de loi n'y fait d'ailleurs référence nulle part- ou de réserver cet ordre aux seuls praticiens du secteur libéral, les premiers doivent s'y soumettre de la même façon que les seconds. Les rédacteurs de cette loi ont commis une erreur qui risque de coûter à un système de santé déjà malade. Il reste à espérer que les parlementaires feront preuve de lucidité et qu'ils ne laisseront passer passer une telle ineptie. Il faudra que ces derniers s'en tiennent aux dispositions de l'article 204 du code de déontologie médicale et qu'ils amendent l'article 369 en abrogeant purement et simplement son alinéa 2. Dr M. B. (*) Psychiatre - docteur en sciences biomédicales