Depuis l'annonce de sa prochaine mise sur le marché, les diabétiques sont sur des charbons ardents et les pharmaciens ont du mal à tempérer les ardeurs. "Nous avons enregistré de très nombreuses demandes ces dernières semaines mais jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas encore été livrés malgré les commandes", indique cette pharmacienne de Bir El-Djir en précisant que contrairement à ce que la majorité des diabétiques croient, il ne s'agit pas d'un médicament mais d'un complément alimentaire. "Les malades ne doivent en aucun cas suspendre leur traitement et le RHB doit être pris en complément. Il est important de le savoir". En raison du manque d'information et des zones d'ombre qui entourent le RHB, beaucoup de diabétiques ne savent, effectivement, pas quelle attitude adopter. "Je ne sais pas ce qu'il convient de faire, admet Rabah, 66 ans, diabétique de longue date. Je nourris de grands espoirs depuis que j'en ai entendu parler à la télévision mais il semble que ce ne soit pas le remède miracle annoncé. Certains disent qu'avec le RHB, on peut arrêter la médication de manière graduelle, d'autres que l'on ne doit surtout pas suspendre le traitement et mon médecin refuse de m'autoriser à le prendre. Mais j'avoue que je ne peux pas réprimer mon impatience." Les incertitudes qui entourent ce "produit miracle" n'empêchent pas des milliers de diabétiques d'Oran de se rendre dans les différentes pharmacies de la ville pour s'enquérir de l'arrivage du RHB et passer commande. "J'ai déjà vendu quelques boîtes et je dois recevoir un autre quota en fin de journée (mardi 28 novembre, ndlr)", déclare un pharmacien du quartier de Seddikia. "Je ne sais pas si c'est efficace, mais je sais que la demande est importante et que certains clients auxquels j'en ai déjà vendu, il y a quelques jours, en redemandent", assure-t-il. Annoncé la deuxième quinzaine de novembre, l'écrasante majorité des pharmacies oranaises n'a cependant pas encore reçu sa commande en RHB. "Il doit y avoir un problème chez les grossistes, avance la pharmacienne de Bir El-Djir. Ils ont annoncé la distribution à partir de la semaine passée mais jusqu'ici, nous attendons toujours. Il y a même des rumeurs qui parlent de produits contrefaits". Plus retenus, voire ouvertement hostiles à l'arrivée de ce nouveau-venu, les médecins ne veulent pas encore s'engager sur un produit qui, bien qu'ayant manifestement reçu la bénédiction du ministre de la Santé, n'en continue pas moins de nourrir les suspicions. Principal argument du corps médical : le RHB n'est pas passé par la procédure classique avant d'être commercialisé. "Je ne suis pas sûr que le RHB ait été soumis aux différentes étapes de contrôle qui précèdent la mise sur le marché d'un produit destiné à la consommation humaine", relève le Dr Aït Aïssa Karim, spécialiste en endocrinologie et diabétologie basé à Oran, pour étayer son évident scepticisme. "Lorsque des malades viennent me consulter sur ce complément alimentaire, j'essaie d'expliquer que le médicament doit passer par une série d'examens rigoureux qui peuvent durer six années. Or, ce n'est manifestement pas le cas du RHB, dont nous ignorons les composants et les effets qu'il peut éventuellement entraîner sur les malades." Et en bon pédagogue face à des malades qui veulent y croire malgré tout, le spécialiste ne ferme pas totalement la porte à l'espoir. "S'il s'agissait de moi ou d'un membre de ma famille, j'attendrais un peu..." Levée de boucliers En scientifique qui se respecte, le Dr Aït Aïssa déplore, par ailleurs, le choix, pas forcément innocent, d'un nom à consonance religieuse pour le complément alimentaire : RHB, Rahmat Rabi (littéralement, miséricorde de Dieu), dont on peut constater l'impact sur l'imaginaire populaire à travers l'engouement des malades sur les officines pharmaceutiques. Ces mises en garde rappellent la levée de boucliers de la communauté médicale, notamment les diabétologues et endocrinologues, qui avaient suivi l'annonce par une chaîne de télévision algérienne de "remède miracle" contre le diabète. Une pluie de commentaires scandalisés s'est abattue sur les réseaux sociaux et les sociétés savantes avaient crié au scandale. "Il est scandaleux de faire la promotion d'un homme et d'un produit sans prendre les précautions nécessaires pour protéger les patients. Si les choses avancent à ce rythme, des milliers d'enfants tomberont dans le coma et les conséquences seront irréversibles", ont dénoncé la Société algérienne de diabétologie, l'Association nationale des endocrinologues et diabétologues libéraux, la Société algérienne de médecine interne et le Conseil national de l'Ordre des médecins. "On s'interroge justement sur les constituants de ce produit et si toutes les procédures prévues par la réglementation ont été respectées", ont-ils également averti. "Mes parents sont diabétiques et je serais heureuse qu'ils en guérissent mais en l'état actuel des choses, jamais je ne leur permettrais d'acquérir ce produit", affirme Louisa, médecin généraliste, qui préfère, elle aussi, attendre pour voir de quoi demain sera fait. Attitude que la majorité des diabétiques d'Oran semblent refuser de suivre, eux qui se rendent quotidiennement dans les pharmacies pour s'enquérir de la disponibilité du produit miracle. "Je suis assailli par les sollicitations et j'ai même un registre sur lequel j'inscris les commandes car elles sont nombreuses et je ne suis pas sûr que nous pourrions les satisfaire", indique un pharmacien de Akid-Lotfi qui dit avoir reçu un quota de quelques boîtes qui "sont parties très vite". À Oran, ni les mises en garde des médecins et des pharmaciens ni le prix relativement élevé du RHB (1 700 DA) et non remboursable ne découragent les diabétiques. Il reste que si les spécialistes ont raison et que le RHB s'avère nuisible à la santé des malades, le ministère de la Santé portera une lourde responsabilité. Dans le cas contraire, Toufik Zaibet et l'Algérie pourront se targuer d'être derrière la plus importante découverte médicale du XXIe siècle. Que même un prix Nobel ne parviendra pas à récompenser. Samir Ould Ali