La corporation des diabétologues et endocrinologues crie au scandale suite à l'utilisation d'un médicament non validé par les instances nationales et internationales. Les praticiens dénoncent l'implication directe du ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, dans cette affaire. Anis, Fares, Rachid, Wissam, Azzedine, Faycal, Ahmed, Abdelhak sont des diabétiques insulinodépendants qui ont fait candidement la promotion du «médicalement miracle» contre le diabète inventé par un chercheur algérien, selon le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf, qui l'avait reçu dans son bureau. La majorité des patients sont des enfants qui ont témoigné à visage découvert se sentir mieux avec moins de fatigue et la stabilité de leur glycémie depuis la prise de ce produit, sous forme de gélules et de sirop, dans un long reportage réalisé par la chaîne Echourouk. L'équipe de télévision a sillonné l'Algérie à la rencontre de tous ceux qui ont pris ce médicament qui est pourtant non enregistré dans la nomenclature nationale. Le «chercheur», Toufik Zaibet, a expliqué tout au long de ce reportage que son «médicament» réduit les risques de complications du diabète, qu'il définit comme «une perte d'eau», tout en recommandant aux patients de maintenir le suivi chez leur médecin traitant. Il a aussi affirmé que le produit en question n'est pas encore validé par les instances nationales. Pourquoi le propose-t-il alors à des malades sous traitement, notamment sous insuline, donnant ainsi de faux espoirs à leurs familles ? S'agit t-il d'un essai clinique autorisé par une autorité nationale telle que le ministère de la Santé, le Conseil national d'éthique des sciences de la santé ou simplement la promotion d'une potion assimilée à un médicament non soumis aux phases obligatoires dans le développement d'un produit pharmaceutique ? Aucun dossier technique portant sur ce produit n'a été soumis au Laboratoire national de contrôle des produits pharmaceutiques (LNCPP) avons-nous appris. Des démarches ont été par contre introduites au niveau du groupe Saidal pour une éventuelle bioéquivalence, mais aucune suite n' a été donnée à ce dossier. Pourquoi alors le ministre, Abdelmalek Boudiaf, a-t-il réitéré hier, sur les ondes de la Chaîne I de la Radio nationale sa déclaration faite à la télévision. «Le chercheur n'est pas un charlatan comme on veut le faire croire. C'est un médecin connu et un enfant de la famille révolutionnaire qui a déjà fait ses preuves avec d'autres médicaments. Le produit en question est effectivement non enregistré en Algérie. Il est actuellement entre les mains des experts. Il ne faut pas se précipiter, il faut attendre d'abord les résultats. De plus, les diabétiques qui l'ont pris ont vu leur état s'améliorer même sur le plan psychologique. Je déplore la campagne médiatique menée à propos de cette affaire», a-t-il lancé fermement, sans se soucier de l'illégalité de cette opération répréhensible. Une déclaration qui vient enflammer la polémique enclenchée depuis la diffusion du reportage par la chaîne de télévision arabophone. Les spécialistes en diabétologie, endocrinologie, médecine interne et autres crient au scandale à travers leur sociétés savantes, relayés par les réseaux sociaux. Ils dénoncent «les agissements ministère de la Santé et du pseudo-chercheur qui prétend être un médecin mais non inscrit au tableau de l'Ordre des médecins. C'est scandaleux de faire la promotion d'un homme et d'un produit sans prendre les précautions nécessaires pour protéger les patients. Si les choses avancent à ce rythme, des milliers d'enfants tomberont dans le coma et les conséquences seront irréversibles» déplorent la Société algérienne de diabétologie, l'Association nationale des endocrinologues et diabétologues libéraux, la Société algérienne de médecine interne et le conseil national de l'Ordre des médecins. «On s'interroge justement sur les constituants de ce produit et si toutes les procédures prévues par la réglementation ont été respectées. On ne sait pas grand-chose. On ne peut pas donner un médicament sans l'avoir soumis à des contrôles rigoureux, après avoir fait des études cliniques dans toutes les phases. On ne sait pas s'il a été testé sur les animaux aussi. C'est un produit inconnu. Maintenant, si des patients disent se sentir mieux, cela ne peut être que sur le plan subjectif car sur le plan objectif, les résultats pourraient plutôt se compliquer dans les jours ou prochains mois. Au vu des déclarations de l'inventeur de ce produit, on comprend déjà qu'il confond le diabète de type 1 avec le diabète de type 2», a déclaré le professeur Zakia Arbouche, présidente de la Société algérienne de diabétologie. Le docteur Hamza Benmaadi, président de l'Association des endocrinologues et diabétologues libéraux, est formel : «On ne guérit pas du diabète. Donner un produit qui n' a pas fait l'objet de toutes les procédures obligatoires, notamment les phases prévues par la réglementation, est criminel.» Les spécialistes sont unanimes à dénoncer la légèreté par laquelle ce dossier est géré aujourd'hui : «Le ministre de la Santé doit être loin de ce type de charlatan qui affirme avoir découvert le produit grâce à Dieu. Il doit plutôt protéger la santé et la vie des Algériens. Il faut rétablir les choses.» «Le monsieur est loin des bonnes pratique de la diabétologie. Il y a aujourd'hui des traitements qui ont montré leur efficacité et la prévention des complications passe justement par le respect de ces traitements. C'est du charlatanisme et nous sommes loins de la preuve scientifique. Il y a des critères et des méthodologies pour faire valoir un produit. Ce n'est pas par enchantement que cela arrive. Nous sommes dans l'irrationnel et les parents d'enfants diabétiques sont aujourd'hui déstabilisés et perturbés. Il ne se passe pas un jour que de patients se présentent et parlent de ce ‘nouveau produit' dans l'idée d'abandonner leur traitement, à savoir l'insuline, qui n'est plus secrétée par leur pancréas. Le diabète de type 1 est bien connu aujourd'hui. En diabétologie nous avons des critères objectifs mesurables, tels que la glycémie et l'HB1C. Par contre, là, on est dans le subjectif et tous les efforts consentis risquent d'être anéantis. C'est scandaleux et cela relève du pénal», dénonce le docteur Azam Boujemaa, membre de l'AEDL, qui craint une démotivation des patients et les conséquences désastreuses que cela pourrait engendrer. Le Comité national diabète a décidé de saisir le ministre de la Santé à propos de cette affaire. De son côté, le président du conseil national de l'Ordre des médecins, le docteur Bekkat Berkani Mohamed, estime que «toute pratique thérapeutique en dehors du cadre scientifique légal et réglementaire relève du charlatanisme. L'utilisation d'un médicament répond à toute une panoplie de textes réglementaires. Mais ce produit a été utilisé avant même d'être validé par les experts cliniciens. On a procédé dans l'illégalité et ceci est condamnable car on donne de faux espoirs aux patients». Une halte s'impose dans cette affaire, qui connaîtra sans doute des rebondissements, surtout si les patients continuent à croire en cette potion magique.