Un programme d'activités variées, destiné aux enfants, est attendu prochainement, grâce à l'association Le Souk : sortie aux parcs d'attractions et zoologique de Ben-Aknoun, croisière en mer, baptême de l'air et de plongée sous-marine, tournois de tennis amateur et de volley-ball, projection de films... Je viens d'une famille nombreuse et j'aime les enfants. Il nous arrive, au documentaliste et à moi-même, de nous occuper des enfants, lorsque l'animatrice est parfois absente. Ici, le cadre est agréable et je suis respectée”, déclare fièrement Souhila, 23 ans, travaillant, depuis plus de deux ans, comme secrétaire à la Fondation Boucebci. Du samedi au mercredi, elle accueille les patients qui viennent voir les thérapeutes, prépare leur dossier administratif et leur fixe des rendez-vous. Elle s'occupe aussi du courrier et répond au téléphone. La jeune secrétaire connaît les malades qui fréquentent le centre de soins de la Fondation, mais “pas leur identité”. Dans les faits, Souhila connaît les prénoms des patients, leur quartier, leur commune ou leur wilaya, et a une idée de la souffrance qu'ils portent. Le centre accueille, selon elle, les victimes du terrorisme, des inondations de Bab-El Oued et du séisme, ayant touché les wilayas d'Alger et de Boumerdès en 2003. “Le centre est ouvert pour toutes les personnes victimes de violences. Il y a des gens qui habitent la cité Les Bananiers et qui connaissent bien la Fondation. D'autres viennent des différentes communes de la capitale, mais également de Boumerdès et de Zemmouri. De temps en temps, des personnes arrivent des autres wilayas, comme Tizi-Ouzou, Aïn Defla…”, révèle la jeune fille. Les bilans de la Fondation Mahfoud-Boucebci présentent une moyenne de 600 consultations annuellement, depuis l'ouverture en 2001 du centre des soins, dont 48% d'enfants, 38% de femmes et 14% d'hommes. Sur les listes, une colonne est réservée au “mode d'accès” à la Fondation, pour une prise en charge psychologique. Le gros des patients est orienté par des médecins (généralistes, orthopédistes, neurologues, psychologues, psychiatres) ou par les secteurs sanitaires (Bab El-Oued, El-Harrach, El-Djorf, Bordj El-Kiffan). Pourtant, il arrive que des malades soient informés par des patients ayant approché le centre de soins Boucebci, ou qui le fréquentent encore, par le voisinage, des associations (Sarp, Rap), des professeurs d'école ou encore les médias (radio, journaux). “Les thérapeutes recherchent la qualité de la prise en charge, plutôt que le nombre de patients”, assure la présidente d'honneur de la Fondation, Mme Annette Boucebci. “Nous essayons de ne pas trahir sa pensée” Sage et élégante dans son tailleur beige, Mme Boucebci, la veuve du professeur Mahfoud Boucebci, assassiné le 15 juin 1993 devant l'hôpital Drid-Hocine de Kouba (Alger), sort un peu de sa réserve, après une heure de discussion. Depuis la disparition tragique de son mari, “cette citoyenne du monde et Algérienne de cœur”, soutenue par sa fille Katia et son fils Téric, s'est consacrée entièrement au travail de mémoire, veillant au bon grain et restant fidèle à l'œuvre du défunt. Une façon aussi, pour elle, d'accomplir son travail de deuil. “Lorsqu'il y a une décision à prendre, je me pose la même question : aurait-il été d'accord avec notre façon d'agir ?” confie-t-elle, avec émotion, avant d'insister : “Nous essayons de ne pas trahir sa pensée.” Même si elle travaille à plein-temps à la Fondation Mahfoud-Boucebci, même si elle est à l'origine de certains aménagements, en particulier le plan du centre de documentation qu'elle a, elle-même, dessiné, notre interlocutrice se garde de trop user du “je”, en parlant de cette grande aventure, qui dure depuis près de 12 ans. Pourtant, en se remémorant la mort de l'ancien médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Kouba, Mme Boucebci rappelle fortement : “Quand mon mari a été assassiné, j'avais dit qu'ils avaient réussi à le faire taire. Mais, je me suis rendue compte assez vite que je m'étais trompée, car jamais un mort n'a autant parlé par la voix des autres.” Mahfoud Boucebci était psychiatre. Médecin-chef à la clinique universitaire de psychiatrie Les Oliviers, à Bir Mourad-Raïs, l'auteur de Psychiatrie, société et développement et de La psychiatrie tourmentée a été lauréat, à deux reprises, du Prix maghrébin de médecine. Il a également été président de la Société algérienne de psychiatrie et vice-président de l'Association internationale de psychiatrie de l'enfant, de l'adolescent et des professions associées. Il a, en outre, été membre fondateur des rencontres franco- maghrébines de psychiatrie et membre de plusieurs comités et conseils scientifiques internationaux de psychiatrie et de santé mentale. Nommé en 1985 à la tête de l'hôpital Drid-Hocine, le Pr Boucebci a été assassiné à l'arme blanche, huit ans plus tard, à l'âge de 56 ans. Selon sa veuve, l'éminent professeur était toujours en quête du savoir et aimait tout ce qui le rapprochait de l'humain, y compris la musique, la poésie et la peinture. “Il aimait tout ce qui est source de vie. Il y avait en lui une force d'enthousiasme et de création extraordinaires, une grande capacité à produire et, toujours, à transmettre”, signale-t-elle. Une autre voix de l'Algérie “À l'échelle de notre Fondation, nous avons fait le choix d'agir, dans le cadre d'un devoir de mémoire, pour faire connaître des hommes et des femmes que nous estimons être des constructeurs, comme Aslaoui, Belkhencheir, Boucebci et Flici, Boukhobza, Liabès et Sanhadri, Djaout, Lounès et Sebti, Fathallah, Alloula et Asselah... Et lorsque nous témoignons pour eux, nous témoignons pour tous ceux, connus ou moins connus…”. C'est le point de vue de Téric Boucebci, président de la Fondation Mahfoud-Boucebci. Selon lui, “une idée a fait son chemin” depuis ce 15 juin 1993. “Le hasard de la vie et la nécessité des choses ont fait que ce sont ses parents, amis, confrères et élèves qui, peu à peu, ont réalisé la transposition de la philosophie de la Fondation à sa concrétisation”, explique-t-il. Au début, il était question de mettre la bibliothèque personnelle de Mahfoud Boucebci, qui rassemble plus de 2 000 ouvrages et revues de références, à la disposition des étudiants en psychiatrie. Mais, d'autres considérations sont entrées en ligne, poussant à la création d'une Fondation : il devenait urgent de porter un message “non violent” de l'Algérie et de présenter une voix autre que le point de vue officiel sur la terreur entretenue par les groupes islamistes armés. La vie organique de la Fondation a commencé officiellement le 1er décembre 1993, avec la tenue de la première assemblée générale. Les membres de la Fondation vont devoir patienter presque une année, jusqu'au 9 novembre 1994, pour obtenir l'agrément de la wilaya d'Alger. L'absence de local, pendant des années, ne les rebutera pas, puisque, depuis 1994, la Fondation commémore chaque année l'assassinat du Pr Mahfoud Boucebci et organise des manifestations scientifiques et culturelles. Elle a aussi à son actif plusieurs publications, à l'exemple des actes des colloques consacrés aux “Tourmentes et société” (1995), aux “Violences : quelles réparations possibles ?” (1996) et à “La Jeunesse algérienne à l'aube du IIIe millénaire” (1999 et 2000). Depuis 1996, des prix sont attribués par la Fondation, pour récompenser les travaux scientifiques et culturels : le dernier prix a été décerné le 15 juin 2004 au Dr Fadila Bouamrane, pour sa thèse de doctorat intitulée La médecine arabe dans l'Espagne musulmane. Renforcement du lien social : une des priorités Après une attente de près d'une décennie, la Fondation a enfin acquis un siège en juin 2001, à la cité Les Bananiers, îlot 9, à Mohammadia, grâce à la formule de location-vente et aux aides accordées, en Algérie, par l'Unicef et l'ambassade du Canada. Outre la prise en charge psychologique, deux autres activités sont menées sur les lieux : la formation pour des professionnels de la santé, ayant débuté en 2001, et le travail de recherche au sein d'un centre de documentation et d'information. Les actions de bénévolat de la Fondation et son intérêt pour l'Algérie seront récompensés, le 6 décembre 2003, par un prix de reconnaissance des Nations unies. Au fil des années, les activités de la Fondation se sont développées et enrichies. L'année 2002 a vu l'apparition d'un bulletin, comme “un trait d'union” réunissant les membres adhérents. L'année passée, une revue est née, 2 x 12, Poésie contemporaine des deux rives, en vente auprès de la Fondation et dans des librairies, et destinée à être “un lien entre les cultures des deux rives de la Méditerranée et d'ailleurs”. De l'avis du président de la Fondation, des actions ont été engagées et d'autres sont entreprises, touchant au “travail d'accompagnement” des bacheliers, à la suite du séisme de 2003, aux “soins sur le terrain” et à la mise en place d'une cellule d'écoute, ainsi qu'aux “échanges Sud-Sud et Sud-Nord”. Cette année, de nouvelles activités scientifiques et culturelles “de proximité” sont prévues, l'objectif est, selon Téric Boucebci, “de créer et de renforcer le lien social”. On l'a compris, les plus grandes orientations du projet de la Fondation Mahfoud- Boucebci puisent dans les préoccupations du défunt, en tant qu'homme de science et de culture, qui allaient au-delà de la psychiatrie et s'inscrivaient dans le champ social, ainsi que dans ses engagements. Classée dans le registre des associations à but non lucratif, la Fondation, qui ambitionne d'élargir ses champs d'intervention et de renforcer son organisation, devra forcément trouver de nouveaux fonds et des dons, pour employer un personnel permanent, de plus de cinq personnes, à la mesure des attentes exprimées. Elle devra également trouver rapidement des personnes bénévoles pour l'animation des nouveaux ateliers, en restant toujours à l'écoute d'idées neuves. Pourtant, il faudra convenir, avant de conclure, que l'emplacement de la Fondation Boucebci et de son centre de soins n'ont rien d'enviable : la cité Les Bananiers, réservée auparavant à toutes les Fondations, ne bénéficie d'aucun arrêt de bus, en dépit des nombreuses requêtes introduites auprès des services compétents… H. A.