Venu de Bruxelles, La Mecque de la bande dessinée européenne, Christian Durieux était invité à la Bibliothèque nationale mardi dernier pour parler de sa passion pour la bulle. Auteur d'une vingtaine d'albums, ce bédéiste aux influences multiples (“je suis une éponge qui absorbe tout”), décrit l'univers des planches avec la ferveur d'un religieux. Un univers dans lequel il tient une place bien privilégiée. Un dieu. “Dans mon atelier, je suis le maître du monde, dit-il. Je peux jouer tous les acteurs, être mon propre metteur en scène, placer la caméra où je veux…” Au commencement, à la fin des années 1980, il y avait les personnages “réalistes et dures”, croqués sur fond d'anticipation angoissante et de thrillers fantastiques. C'était le temps du ténébreux “Avel”, créé avec le scénariste Jean Dufaux, dont il explore les traits (psychologiques) sombres dans 4 albums, aux éditions Glénat. Puis, en 1999, il fait un curieux virage. Il s'entoure d'un nouvel alter ego, le scénariste Denis Lapière, et s'embarque dans l'aventure des “gros nez” et des “bouilles rondes” : l'univers de la bande dessinée pour enfants. Son nouveau poulain s'appelle Oscar, un enfant drôle, un drôle d'enfant, à travers qui il tente de “passer de l'émotion et de l'humanité”. Mission éducative qu'il mène avec une verve patriotique : “Si un jour un enfant qui a lu Oscar vote FN en France, je serai bien déçu !” Enfant lui-même, Durieux était, comme tout petit bonhomme qui se respecte, fan de Tintin. Adulte, au tout début de sa carrière, il passe de l'autre côté du miroir en faisant, comme tout bon bédéiste qui débute, quelques incursions dans le “Journal de Tintin”. L'occasion pour redécouvrir l'œuvre d'Hergé, qu'il apprend à apprécier autrement. En en décortiquant les traits, les courbes et les insinuations. De cette aventure subsiste quelques “traits” communs entre les deux hommes. Les lecteurs et les critiques le mettent volontiers dans la case des disciples d'Hergé. Et lui reconnaît être proche de la fameuse “ligne claire et épurée” qui fait la marque de fabrique du grand “patriarche”. Ce patriarche qui a reçu un jour, dans les années 1970, une prophétie annonçant la grande période de dépression pour la BD : une lettre teintée de dépit d'un enfant qui venait de voir la version grand écran de Tintin. “Je n'ai pas du tout aimé le capitaine Haddock dans le film, parce que sa voix ne ressemble pas à celle du livre”, se plaignait-il. À quelques dizaines d'années de distance, Durieux craint, tout comme cet enfant, que les progrès technologiques tuent la magie du papier : “Dans 20 ans, je deviendrai un vieux fou, j'aurai l'air d'un Don Quichotte perdu dans des films de science-fiction.” En attendant de dessiner ce scénario apocalyptique, il s'amuse, en tout-puissant marionnettiste qu'il est, à régir la vie dans ses cases et ses bulles. Mais, à l'extérieur, il emprunte les accents pathétiques d'un petit pasteur besogneux. Rêvant d'une “petite vie bien tranquille avec un petit succès, juste de quoi laisser quelque chose pour mes enfants”. D B.