Ecartant d'un revers de main les critères de succession, basés jusque-là sur l'âge, le dernier des fils d'Ibn Saoud, le roi Salmane, ouvre la voie du pouvoir à sa descendance. Changement très significatif en Arabie Saoudite, où la désignation des rois, qui obéissait à des critères bien précis, vient de subir une modification capitale avec la décision du roi Salmane de nommer son fils Mohamed, prince héritier. Il ouvre ainsi la voie à sa descendance pour accéder au trône de la puissance pétrolière du Golfe. Les dizaines de ses neveux sont de facto écartés de la succession, qui obéissait jusque-là essentiellement au critère de l'âge. Reste à savoir si ce changement n'est pas motivé par les rumeurs de préparation de tentatives de putsch contre le roi, âgé de 81 ans, et dont la santé est très fragile. Le dernier de la lignée de Abdelaziz Ben-Abderrahmane Al Saoud, plus connu sous le nom d'Ibn Saoud, opère un véritable coup de force en mettant hors course ses dizaines de neveux pouvant prétendre à la succession. Il y a lieu de s'interroger surtout sur les conséquences qui pourraient résulter de cette décision, éventuellement des actes de vengeance en raison de la frustration qu'elle peut engendrer chez les potentiels prétendants à la royauté. Pour rappel, le royaume a été secoué en 1975 par l'assassinat du roi Fayçal par son neveu, Fayçal ben Moussaid ben Abdelaziz Al Saoud. Même si les motivations de ce dernier ont été étouffées par sa condamnation et son exécution publique en un temps record, il n'a pas été exclu qu'elles soient d'ordre politique. Son père Moussaid ben Abdelaziz, mort en août 2013, n'a pas accédé au pouvoir. Il y a lieu de noter que le roi Salmane est le 25e fils du roi Abdelaziz, fondateur du royaume, et fait partie du clan des Soudaïri, les sept fils d'une même mère, Hassa Bent Ahmad al-Soudaïri, favorite du roi. Parmi ses frères figuraient le roi Fahd et les princes Nayef et Sultan, tous trois décédés. Ceci étant, la désignation de Mohamed Ben Salmane, âgé tout juste de 31 ans, intervient dans un contexte de crise pour l'Arabie Saoudite, embourbée dans la guerre du Yémen, et qui fait face à une la chute sans précédent de ses revenus pétroliers, d'où une politique d'austérité dans un pays connu pour sa politique de l'Etat providence. Ajoutons à cela la dispute avec le Qatar, accusé de "soutenir le terrorisme" et surtout de se rapprocher de l'Iran. À signaler que l'ascension fulgurante du prince Mohamed s'est accompagnée de la mise à l'écart de l'ancien prince héritier, Moqren, et de son successeur Mohamed ben Nayef. Il est l'homme fort du royaume, notamment en sa qualité de ministre de la Défense depuis l'arrivée de son père au pouvoir. C'est lui qui a décidé d'intervenir militairement au Yémen pour empêcher les rebelles chiites houthis, eux aussi accusés de liens avec l'Iran, de prendre le contrôle de l'ensemble de ce pays voisin. Sur le plan économique, le prince Mohamed est l'architecte d'un vaste plan de transformation de l'économie saoudienne, sous l'appellation "Vision 2030" et révélé en avril 2016. Il vise à atténuer la dépendance de l'économie du pétrole aux prix fluctuants et dont l'Arabie Saoudite est le premier exportateur mondial. Quant à la récente crise avec le Qatar, le prince Mohamed est l'un des artisans de la politique d'isolement de cet émirat. En tant que prince héritier, il aura à gérer les suites de la dispute avec ce pays qui a été mis au ban pour son soutien présumé aux mouvements islamistes extrémistes et son rapprochement avec l'Iran. Merzak Tigrine