L'Etat algérien a consenti depuis l'indépendance d'immenses investissements en faveur de l'éducation et de la recherche scientifique. Ces efforts louables ne devraient en aucune manière être occultés ou minimisés sous prétexte que les résultats obtenus en la matière s'avèrent à l'examen bien en deçà des espoirs escomptés. Qu'en est-il cinquante-cinq ans après l'indépendance ? Quels sont les organismes ou les structures qui président au destin de la recherche scientifique dans notre pays ? La Direction générale de la recherche scientifique et du développement technologique (DGRSDT) est une institution de recherche scientifique rattachée au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (Mesrs). Comme telle, elle se donne pour missions de "mettre en œuvre, dans un cadre collégial et intersectoriel, la politique nationale de recherche scientifique et de développement technologique, telle que définie par la loi n°98-11 du 29 rabie ethani 1419 correspondant au 22 août 1998, modifiée et complétée". Elle prend en charge et exécute les décisions et recommandation du Conseil national de la recherche scientifique et technique dont elle assure le secrétariat des travaux (CNRST). Relèvent également de ses activités, l'animation et le financement de près d'un millier de laboratoires, toutes disciplines confondues, et qui se trouvent domiciliés dans leur quasi-totalité dans les diverses universités nationales. Cette institution, qui est la DGRSDT, renferme en son sein quantité de compétences, composées de femmes et d'hommes intelligents et imaginatifs, mais qui se trouvent quelquefois parasités par des "infiltrés" et des pistonnés qui n'ont d'autres savoir-faire que l'art et la manière de dissimuler aux yeux de leurs semblables leur incompétence avérée, démontrable, en matière de connaissance et de recherche scientifique. Dès lors, la question qui se pose est de savoir pourquoi la DGRSDT dépendant du Mesrs confie-t-elle certaines missions de haute importance scientifique à des personnes dont la quasi-nullité scientifique relève du secret de Polichinelle? C'est là, en effet, où le bât blesse. Pourquoi demandons-nous à attribuer, en lieu et place des femmes et des hommes compétents, des fonctions et des missions scientifiques à des personnes qui n'ont aucun rapport avec la science ni avec les questions d'évaluation? À cette question, la réponse est que l'ex-ministre Rachid Harraoubia, qui avait régné sans partage à la tête du Mesrs durant plus d'une dizaine d'années sans interruption, après s'être fait construire une grande demeure à quelques pas seulement du siège ministériel, avait favorisé le recrutement d'un bon nombre d'individus médiocres et dont beaucoup d'entre eux sont devenus, au fil des ans, des responsables en charge des structures de recherche ou membres des commissions d'évaluation et de prospective ! Le jeu délétère du "piston" et du népotisme Tous ces recrutés, ils le furent, en effet, non sur la base d'un CV solidement étayé par des preuves matérielles, mais uniquement par le seul jeu de "copinage", de "cousinage", et pour parler le langage politique, ils le furent par le jeu du clientélisme et de cooptation. Lorsqu'il s'agit des intérêts politiques et économiques, les étiquettes politiques et les clivages idéologiques traditionnels entre partis s'effacent. Ainsi, le FLN, le RND, le MSP (l'ex-Hamas) et d'autres étiquettes politiques peuvent-ils mettre momentanément en sourdine leurs différences et querelles de côté pour se rendre mutuellement des services. C'est le fameux principe de don contre don que fonde le système de la contre-prestation. C'est ainsi que fonctionne le système politico-administratif algérien depuis le sommet jusqu'au compartiment inférieur. Des gens du RND et d'autres partis politiques, opposés théoriquement au FLN dont Harraoubia fait partie, auraient recommandé leurs "chouchous" à ce dernier pour qu'ils soient recrutés dans les différentes administrations relevant de son secteur. Or, ces pratiques de copinage, de népotisme et de passe-droit ne sont pas, il est vrai, l'apanage de ce seul secteur. Elles s'étendent à tous les autres secteurs publics où les compétences ne sont guère appréciées tant elles font l'ombre à beaucoup de responsables qui préfèrent s'entourer plutôt d'individus à la fois timorés, dociles (béni-oui-oui, ya sidi !) et incompétents. En effet, toutes nos administrations et nos entreprises publiques, telles Sonatrach, Sonelgaz, et quantité d'autres recrutent le plus souvent leur personnel sur ce mode clientéliste qui ne laisse point de place au recrutement sur CV. D'ailleurs, les DRH existant au niveau des entreprises publiques, et qui sont censés examiner les demandes qui leur parviennent d'après les critères de compétence, ne sont en vérité que des coquilles vides, car ils se ramènent à des bureaux occupés par un haut bureaucrate flanqué d'une pléthore de secrétaires qui gèrent uniquement les recrutements sur "coups de fil" passés aux DRH par des amis ou de hautes personnalités "bien placées" dans le sérail. De là s'explique le fait que les CV des personnes qui ont à faire valoir un savoir-faire avéré, et qui atterrissent sur le bureau de monsieur ou de madame le DRH, sont le plus souvent déclarés irrecevables, mis au rancart, s'ils ne sont pas purement et simplement jetés au rebut de l'histoire... Mais revenons au secteur qui nous concerne directement et sur lequel nous disposons des informations précises en ce qui concerne les profils d'individus triés sur le volet plus en fonction de leurs caractères timorés, dociles ou "conciliants" qu'en fonction de leurs compétences réelles ou supposées. Or, les différentes commissions ministérielles, et en particulier la Commission universitaire nationale (CUN), soit l'équivalent du Conseil national des universités françaises (CNU), chargé de la gestion des carrières des enseignants-chercheurs, comprennent en leur sein un nombre important de personnes "pistonnées". Le piston, le clientélisme, l'allégeance et le népotisme sont les quatre termes de l'équation qui déterminent en dernier ressort le choix des experts appelés à siéger dans les commissions en qualité d'examinateurs et d'évaluateurs. Or, si tous ces membres de commission ne sont pas incompétents, quoique pistonnés, et que bon nombre d'autres font preuve d'application et de dévouement à la chose publique, d'autres s'avèrent, en revanche, d'une nullité absolue. La présence de certains de ces parachutés dans les différentes commissions et structures de recherche s'avère à l'examen sinon calamiteuse au sens de malheur public, du moins superflue. Car ces personnes se trouvent désignées à des postes et à des fonctions scientifiques et administratives pour lesquels elles n'ont absolument aucune compétence attestée. La sous-commission des sciences sociales et humaines se présente à l'observation comme étant le réceptacle par excellence de la médiocrité parlante. Ses pseudo-experts sont choisis par la DRH en fonction du jeu clientéliste, mais aussi en fonction de leur docilité et esprit "conciliant" (mot qui signifie en langage administratif algérien : obéissance au chef, défense d'esprit critique, de fronde ou de contestation...). Les critères retenus par les membres de cette sous-commission en ce qui concerne l'accès aux grades magistraux, de maîtres de conférences et de professeurs n'obéissent le plus souvent qu'aux règles informelles et aux lois du "copinage" et du favoritisme. Ainsi en est-il de la promotion des maîtres assistants A et B aux grades de maîtres de conférences, et de ceux-ci aux grades de professeurs. Alors que les publications scientifiques sont théoriquement exigées des postulants à tous ces grades mentionnés pour gravir les échelons académiques, la plupart d'entre eux n'ont cependant jamais produit des livres ou des articles scientifiques dignes de ce nom. Autrement dit, les candidats à ces postes versent néanmoins, dans leurs dossiers de concours de gros cartons chargés d'articles et de livres, sans aucune valeur scientifique car publiés, soit à compte d'auteur, soit par des éditions privées qui se passent d'experts, de comités scientifiques ou d'experts dans les spécialités qui leurs sont soumises. Grâce à ces dossiers de concours fourre-tout où articles et livres sont farcis de remplissage, de compilation et de plagiat, beaucoup, en effet, réussissent au "concours" et deviennent professeurs d'université à quarante ou à quarante-cinq ans ! Par ce procédé de trafic des registres, et d'agiotage, joints au jeu de copinage en vigueur dans ces commissions encadrées plus par des logiques administratives que par des règles scientifiques, la promotion des médiocres devient dès lors un fait accompli. Le refoulement à la lisière des compétences avérées... au profit des médiocres Les autres structures et commissions dépendant du Mesrs ne sont pas en reste. Comme la sous-commission des sciences sociales et humaines, elles sont le lieu de ralliement d'une quantité d'experts "pistonnés", parce qu'ils ont la faveur du "patron" ou des "patrons" en raison de leur caractère pusillanime ("conciliant", diront ces patrons...). Le CNRST (Conseil national de recherche scientifique et technique) ; le CNE (Conseil national d'évaluation de la recherche scientifique et du développement technologique) ; les Commissions intersectorielles de promotion, de programmation et d'évaluation de la recherche scientifique et technique (CIS) et les CSP (Comités sectoriels permanents) sont les lieux d'attraction, de promotion et de reproduction d'un bon nombre de profils bas, de chercheurs et d'experts jugés non pas toujours à l'aune de leur compétence réelle, mais à l'aune de leur aptitude à obéir aux codes et aux règles non écrites édictées de manière informelle par les chefs ou les patrons de ces instances. En d'autres mots, ces "chefs" ne s'accommodent pas d'avec des experts critiques, autonomes et indépendants, mais d'avec des experts obéissants, dociles, et pour reprendre le terme en usage dans l'administration, un expert "conciliant". Qui dit "conciliant" dit un homme qui accepte sans ciller les injonctions ou les suggestions de son chef en dehors de toute règle écrite. Et ce qui prime dans le choix de ces experts, c'est donc avant tout "la confiance" qu'on place en eux, et cela passe avant la compétence. Celle-ci n'est tolérée et admise dans le club fermé de ces gestionnaires bureaucratiques, dont beaucoup se trouvent dépourvus de compétence, que dans la mesure où elle se fait servile. Il est, en effet, des habitudes qui se sont enracinées dans l'administration algérienne, et qu'on ne saurait éradiquer sans provoquer de grands charivaris : la majorité des hauts responsables administratifs (DG, P-DG, recteurs, doyens, chefs de service, chefs de département...) s'entourent quasi systématiquement de collaborateurs qu'ils choisissent, en règle générale, en fonction de trois critères : obéissance, incompétence et compétence servile. Ce triple choix trouve son origine dans plusieurs causes dont les plus saillantes tiennent, tantôt au manque de confiance en soi éprouvé par "le patron", tantôt à son incompétence, tantôt à l'excès de son autoritarisme qu'il confond avec autorité ou prestige du chef, et tantôt encore à sa compétence vraie mais qu'il emploie à mauvais escient. Dans certains cas, et dans certaines administrations, le responsable préfère s'entourer de gens corrompus ou ayant des penchants pour la corruption dans le but de les maintenir en laisse et de se protéger lui-même contre les éventuels empiètements sur son autorité. C'est dire que les hommes liges sont les mieux prisés par les chefs de nos institutions administratives et économiques, et les corrompus et les incompétents ont le plus souvent leur confiance. En d'autres mots, ceux qui gèrent en particulier les budgets d'équipement ou qui s'occupent des appels d'offres ou des moyens généraux au sein des diverses institutions administratives et économiques ont toujours la faveur du grand chef, et auxquels il prête une oreille complaisante. Par Ahmed rouadjia Docteur en histoire, professeur à l'université de M'sila et directeur du Laboratoire de recherche d'histoire, de sociologie et des changements sociaux et économiques.