Les animateurs du Café littéraire ont finalement réussi à organiser leur rencontre avec le Dr Saïd Sadi. Un Café littéraire qui a fait couler beaucoup d'encre. C'est dans une salle archicomble que l'auteur de Cherif Kheddam, Abrid iggunin, Le chemin du devoir, publié à compte d'auteur, a rencontré son public. Un public composé d'acteurs politiques et sociaux, de militants de la cause amazighe mais aussi de nombreux citoyens anonymes. Humilité, éthique et travail, consciencieux s'entend. C'est par ces qualités, devenues rares dans l'Algérie d'aujourd'hui, que Saïd Sadi a dépeint sur plus de 400 pages le grand Cherif Kheddam. Lesquelles qualités n'avaient jamais fait défaut à feu Cherif Kheddam qui, en sus, a eu une riche et dense carrière. Plus encore, "un succès au profit des autres". L'humilité, l'éthique et le travail seront donc les fils conducteurs du livre qui, au fil des pages, nous fait découvrir un Da Cherif, comme l'appellent les jeunes générations, qui n'a jamais souscrit à aucune chapelle, comme l'a rappelé, à juste titre, Nabila, du Café littéraire, dans sa brève présentation du livre. Il est aussi féministe à sa manière, en témoigne sa chanson Lahdjab n'thurit ; le seul et unique artiste à soutenir publiquement Taous lorsqu'elle sera interdite au festival panafricain. Il a accepté de jouer à ses côtés lorsqu'elle chantera à la cité universitaire de Ben Aknoun. Les étudiants, à leur tête le Dr Saïd Sadi, avaient réservé un accueil populaire à la diva. Et Cherif Kheddam était "le seul chanteur ayant accepté de chanter à ses côtés. Alors, de grâce, arrêtons de dire que ce n'était pas un artiste engagé, comme j'ai pu le lire récemment sur internet. Et de la part de quelqu'un qui n'a même pas lu le livre", qui lui a été consacré, a déclaré avec regret le Dr Sadi. Durant son exposé d'à peu près une heure, l'invité du Café littéraire a indiqué qu'il est impératif que "nous zoomions ce cas unique à travers l'histoire" et qui révèle une collectivité qui a réussi à exister depuis des siècles, trois millénaires au moins, alors qu'elle était vouée, objectivement, à disparaître. Les Aztèques avaient un grand savoir, les vestiges y sont encore debout aujourd'hui, avec un service d'Etat, - on collectait des impôts -, mais ils se sont effondrés en quelques mois devant l'armée espagnole, a rappelé le Dr Sadi. Comment alors les Amazighs ont réussi à traverser les siècles sans y avoir édifié d'Etat, sans une économie, sans une puissance armée, sans diplomatie, etc. "Je pense que c'est le fait de la culture. Et c'est un cas unique dans l'histoire." Saïd Sadi insistera beaucoup pour dire qu'il n'y pas d'équivalent dans le monde. Mais cette résilience amazighe, propriété d'une collectivité à résister psychiquement aux épreuves, et à ce titre la Berbérie, Tamazgha pour les autochtones, y a été amplement servie - "Elle est, toutefois, sujette à caution". Le Dr Sadi expliquera qu'en dépit des luttes intestines, des manipulations extérieures, il y a une forme de résilience avec un potentiel réactif. "On a des gènes, des anticorps qui nous permettent d'exister". Les aèdes, les penseurs, façonnent la société même s'ils ne participent pas à la prise de décision et à la gestion de la cité. C'est un peu ce qui a été accompli par la génération d'avril 1980, a affirmé le Dr Sadi. Les animateurs ont réussi à ébranler le système du parti unique et de la pensée unique. Mais ils ont eu surtout fort à faire avec la majorité des élites de l'époque, élites organiques, qui ont fait dans le "terrorisme intellectuel". Les animateurs du Mouvement culturel berbère inscrivaient leur combat dans le temps. C'est la raison pour laquelle ils ont été un repère important pour les nouvelles générations. "On s'inscrivait et on voulait installer le mouvement par rapport à l'histoire. Le pouvoir n'était qu'un moyen mais pas un objectif". Sadi a rappelé avec insistance que l'Afrique du Nord, qu'il souhaite voir réunifiée comme l'avaient envisagé et espéré les pères fondateurs des trois pays, à savoir l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, et ce, depuis le milieu des années 1920, a permis à des minorités religieuses d'exister et surtout de résister. Il citera le cas des Ibadites. "Ils ont résisté ici." M. Ouyougoute