Rencontrée dans sa suite à l'hôtel Hilton d'Alger, la Diva aux pieds nus nous parlera de sa musique, du Cap-Vert et de son patrimoine la morna. Une généreuse âme à découvrir absolument. Elle se produira encore ce soir à la demande du public. Liberté : On vous surnomme la Diva aux pieds nus et, pourtant, vous portez des chaussures aujourd'hui… Je chante pieds nus parce que je n'aime pas les chaussures, je ne me sens pas à l'aise et ce n'est que lors des voyages que je porte des souliers. Toute petite, je circulais pieds nus, et c'était le cas pour tous les Capverdiens. Comment êtes-vous venue à la chanson ? Je dirai que la musique, je l'ai dans le sang. Mon père était musicien, mon frère aussi. Mon oncle Francisco Da Cruz est un grand poète, le plus grand compositeur de mornas. J'ai commencé très jeune ; à 16 ans, je chantais déjà les mornas, patrimoine du Cap-Vert. Vous avez interrompu votre carrière artistique pendant une dizaine d'années. Pourquoi cet éloignement de la scène et qu'avez-vous fait pendant ce temps ? J'en avais marre de chanter pour rien, il fallait que je m'arrête en ce temps-là. Alors, j'ai décidé de rester chez moi. Je n'ai pas fait grand-chose, je me suis occupée de mes deux enfants et de ma famille. Quand je chantais dans les bars de Sao Vicente, les étrangers qui étaient là me disaient que j'aurais beaucoup de succès si je me produisais à l'étranger. J'ai toujours cru au succès ; je savais que ça allait venir mais je ne savais pas quand. Et c'est arrivé. Est-ce un rêve qui s'est réalisé ? Je ne dirai pas que c'est un rêve, car je n'y crois pas. Un jour j'ai rêvé que j'avais beaucoup d'argent et, au petit matin, je me suis réveillée sur l'amère réalité ; je n'avais rien, même pas de quoi manger. Alors, ça fait longtemps que j'ai arrêté de croire aux rêves. Au Cap-Vert, on dit l'espérance est la dernière à mourir, c'est pourquoi j'ai toujours cru à la réussite et espéré que ça arrive. Parlez-nous un peu des mornas capverdiens, sodade en particulier… Les mornas est un mélange de fado et de blues. Il est question de sentiments, de nostalgie, d'amour et de souffrance. La morna c'est plus lent et ça reflète ce sentiment profond qui est en chaque Cap-Verdien. La difficulté de la vie, la nostalgie, le départ, les retrouvailles, la mer, l'horizon, la pluie, la terre. Contrairement à la coladera, qui est plus rapide en général et les thèmes sont plus drôles et plus dansants. Sodade, c'est quelque chose que je ne pourrais pas traduire en français. Ça parle des Capverdiens qui, au début du siècle, étaient contraints d'aller travailler à Sao Tomé, en contrepartie de contrats de misère. Ça parle de cet attachement à la terre natale et de l'impossibilité du retour ; ce sont ces femmes qui rêvent de retrouver leurs enfants, maris, frères partis très loin. Sodade, c'est tout ce qu'auraient pu dire ces déportés à ceux qui sont restés au pays et vice-versa. Quel est le rythme de travail de Césaria Evora aujourd'hui ? Depuis quelques années, le rythme est un peu au ralenti, moins de concerts qu'avant. Aujourd'hui, les tournées sont réduites à quatre mois par an, alors qu'avant cela s'étalait sur huit mois. On donnait en moyenne 170 concerts. Il m'est arrivé d'animer deux concerts dans la même soirée, comme en Tunisie et aux Etats-Unis. Je me suis produite dernièrement en Pologne où j'ai été récompensée de trois disques d'or, puis je suis passée par la Croatie. Après Alger, j'enchaînerai par un concert à Budapest. Depuis quelques années, vous avez fait entrer des sonorités latinos et brésiliennes dans le patrimoine capverdien. Pourquoi ce choix ? Oui, j'aime beaucoup les rythmes brésiliens, cubains et autres de l'Amérique latine. C'est une fusion qui s'est faite au gré des voyages et des rencontres. Je pense que les sonorités et les rythmes peuvent être différents, mais c'est toujours de la musique, un même langage. J'ai fait des duos avec l'Espagnol Pedro Guerra Caetano Veloso (chanteur et compositeur brésilien), Compay Secundo, Bernard Lavilliers... Avez-vous une idée de la musique algérienne et des artistes algériens ? Non, je n'en connais pas vraiment. Je connais le petit (Mami) à qui j'ai remis le prix de La Victoire de la musique. De tous les pays que vous avez visités, quel est celui qui vous a marquée ? J'aime tous les pays où je suis allée, la France en particulier, car c'est par là que le succès a commencé pour moi. C'est tout de même bizarre que vous ne parliez que créole… J'aime toutes les musiques, mais je ne chante qu'en créole. Je comprends le français, j'arrive même à négocier avec les commerçants. W. L.