Les spécialistes ne cessent d'avertir sur les répercussions négatives du recours à ce financement non conventionnel. La loi amendée sur la monnaie et le crédit étant publiée au Journal officiel, le Trésor public est officiellement autorisé à puiser dans les finances de la Banque d'Algérie. La planche à billets voulue par le gouvernement est ainsi mise en route. Et ce faisant, l'Exécutif dessine un nouveau contexte dont les répercussions pourraient être nuisibles à l'économie et préjudiciables à la Banque d'Algérie. Celle-ci a été en fait mise dans une situation difficile, du point de vue de l'exercice de ses pouvoirs régaliens, susceptible de mal se terminer. Dépouillée de ses prérogatives, elle est passée sous la coupe du politique qui a touché à la sacro-sainte loi sur la monnaie et le crédit, une législation qui codifiait la relation du Trésor public à la Banque centrale, la haute autorité monétaire. En théorie, tout est possible pour autant que la logique économique et l'esprit de la loi soient respectés. La loi dont il est question modifie et complète l'ordonnance de 2003 en introduisant un article 45 bis qui stipule que la Banque d'Algérie procède, dès l'entrée en vigueur de la présente disposition, à titre exceptionnel et durant une période de cinq années, à l'achat directement auprès du Trésor, de titres émis par celui-ci, à l'effet de participer, notamment, à la couverture des besoins de financement du Trésor, au financement de la dette publique interne et au financement du Fonds national d'investissement (FNI). En outre, l'article 45 bis note que ce dispositif est mis en œuvre pour accompagner la réalisation d'un programme de réformes structurelles économiques et budgétaires devant aboutir, au plus tard, à l'issue de la période susvisée, notamment au rétablissement des équilibres de la trésorerie de l'Etat et de la balance des paiements. Cela est-il faisable ? Des experts indépendants émettent des doutes sur la procédure utilisée qui, à leurs yeux, ne permet pas de faire redécoller l'économie, parce que le pays ne dispose pas de nouveaux ressorts de croissance, hormis la dépense publique. Il pourrait en découler un risque d'inflation difficile à résorber, et auquel cas, la Banque d'Algérie va tenter de réparer les pots cassés. Le pourrait-il ? Pour Mourad Goumiri, le gouvernement a demandé un chèque en blanc sur deux ans (l'échéance présidentielle d'avril 2019) pour puiser autant qu'il veut de signes monétaires via l'instrument du financement non conventionnel. Il est, selon lui, peu regardant sur les moyens, seule compte la finalité. Smaïl Goumeziane, économiste et ancien ministre du Commerce, explique, dans un entretien à nos confrère d'El Watan, que les possibilités d'utilisation de l'argent tiré de la planche à billets, dans chaque pays, sont toujours multiples et s'inscrivent toujours aux côtés de toute une batterie d'instruments (économiques, financiers, fiscaux...), dans une stratégie de court et moyen termes eu égard aux objectifs de croissance et de développement retenus, aux conditions économiques intérieures et extérieures, et surtout en matière de soutien politique et citoyen qui accompagne ces mesures. Lorsque des conditions consensuelles ou suffisamment légitimes, dit-il, ont prévalu, certaines mesures, bien que douloureuses, ont ainsi pu être admises, supportées et appliquées de façon radicale quand d'autres ont été mieux tolérées à doses homéopathiques. À l'inverse, note-t-il, lorsque de telles conditions n'ont pas prévalu, suscitant de fortes oppositions dans la société, les mêmes instruments ont donné des résultats négatifs qui ont aggravé la crise, creusé les fractures sociales et conduit les pays concernés à des impasses tragiques pour de longues années. Youcef Salami