La question du moment qui taraude les pays qui ont vécu avec la rente pétrolière est comment aller à une diversification économique. Le cas de la Pologne est significatif et il est aussi comparable à celui de l'Algérie par les bouleversements qui ont traversé ces deux pays, après la chute du mur de Berlin, en 1989. Une rétrospective historique est nécessaire pour appréhender ce pays qui du jour au lendemain s'arrache de l'emprise soviétique avec une économie exclusivement tournée vers l'URSS qui décidait des commandes et des secteurs prioritaires. La soumission politique est totale. Heureusement que deux acteurs essentiels étaient là au moment de cette libération. Le catholicisme, bien ancré chez les Polonais malgré l'ostracisme qui frappait le culte religieux durant l'occupation. L'élection d'un Polonais à la tête du Saint-Siège qui prit le nom de Jean-Paul II a joué énormément et a servi de bouée de sauvetage pour tous ceux qui se sont sentis délaissés. L'autre acteur, et de loin le plus important, fut le syndicat Solidarnosc, né dans les chantiers navals de Gdansk, dont la totalité des commandes venait de l'URSS. Les grèves, comme une tache d'huile, se répandirent partout et touchaient tous les secteurs d'activité. Le pays se trouvait au bord de l'asphyxie et le face-à-face Parti communiste de Jaruzelski, qui voit son autorité s'affaiblir, et Solidarnosc à sa tête Lech Walesa, électricien aux chantiers navals de Gdansk, qui gagne du terrain et de la sympathie en dehors des frontières, a fini par déboucher sur des négociations connues sous le vocable de la "Réunion de la table ronde". C'est autour de cette table circulaire de 8 mètres de circonférence que se sont retrouvés des représentants du régime en place, c'est-à-dire le Parti communiste polonais, et ceux de la société civile, dominée par le syndicat autonome Solidarnosc. Le Parti communiste s'est vu obligé de s'asseoir à cette table ronde, ayant compris que les vagues de répression qui se sont abattues sur les ouvriers et la population, que l'état d'urgence décrété n'ont fait que consolider une contestation générale, répandue sur tout le pays. Ce qui est à retenir, ce sont les termes de l'accord auquel sont parvenus les négociateurs. Le régime a reconnu qu'il sera vain d'aller à une confrontation et à une répression qu'il sait perdues d'avance. De l'autre côté, les partisans de Solidarnosc, Walesa à leur tête, veulent faire basculer le régime par étapes, convaincus que ce n'est plus qu'une question de temps pour que le fruit gâté qu'est le régime tombe de lui-même, du fait de son isolement et de son incapacité à se maintenir. Après avoir réussi à faire adopter leur déclaration de 21 points dont celui où Solidarnosc est reconnu comme "syndicat indépendant et autogéré", il a été convenu d'aller à des élections législatives "partiellement libres" dans le sens où le Parti communiste est assuré d'avoir 65% des sièges quels que soient les résultats officiels et que la Présidence — abolie en 1945 — revienne à Jaruzelski selon le slogan populaire de l'époque "Votre président, notre Premier ministre". Ainsi donc, le Premier ministre sera Tadeusz Mazowiecki, qui occupait la fonction de conseiller de Solidarnosc, donc un proche de Walesa. Le 12 septembre 1989, est formé le premier gouvernement non communiste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe de l'Est. La grande surprise est le choix d'un ultra libéral au ministère des Finances. Il s'appelle Balcerowicz et a une formation d'économiste. Il lance aussitôt un plan qui porte son nom mais plus connu sous celui du plan de "thérapie de choc". Ce plan a pour premier axe de passer d'une économie planifiée à une économie de marché où les prix sont désormais libres. Il y eut une forte inflation, une dérégulation, une dévaluation de la monnaie. Les conséquences sont immédiates. On assiste à des fermetures d'usines par milliers qui sont naturellement de statut public. Le 0% de taux de chômage qu'affichait l'ancien régime est passé à 3 millions de chômeurs. Cette thérapie a duré trois années qui ont été difficiles avant d'aboutir à un retour de la croissance, à la création d'un million et demi d'entreprises de statut privé. Une question que je me suis posée : pourquoi le syndicat, censé défendre l'ouvrier, n'a pas bougé ? Simplement, Solidarnosc, dont un de ses membres est lui-même chef de l'exécutif, donc responsable de ce plan de choc. Le syndicat, qui affichait un nombre de 10 millions de membres, a fait un travail de sensibilisation, expliquant que c'est la seule solution pour sortir du carcan socialiste et aspirer enfin à voir naître une économie de compétences et créatrice d'emplois réels. Durant cette thérapie de choc, il n'y a eu aucun mouvement de grève. Les ouvriers avaient une totale confiance en leurs dirigeants et étaient donc prêts à passer des moments difficiles, convaincus du changement. Il y a donc dès le départ, d'une part une volonté politique affichée de façon transparente, et d'autre part une dynamique populaire enthousiaste. Le PISM, institut polonais des relations internationales, est un think thank de statut public qui est en relation avec son homologue algérien, l'INESG. Notre interlocutrice, Patricia, se définit comme étant le produit de cette transformation polonaise. "Je suis née en 1980, pire période économique du pays. En 1985, pour avoir du pain, il faut faire la chaîne, qui durait plus de cinq heures ! Jusqu'à 1989, année du changement, je ne connaissais pas le goût du chocolat. Petit détail qui marque une fille de 9 ans." Pour cette experte, invitée à faire une comparaison entre son pays et l'Algérie (où elle s'y est déjà rendue pour un colloque organisé par l'INESG), les raisons principales qui ont poussé les Polonais à aller jusqu'au bout sont : l'état de guerre qui a fait cent morts et la grande pauvreté des citoyens, quasiment asservis à l'empire soviétique. Quant à l'Algérie, les facteurs de blocage ou de retard sont d'abord la décennie noire qui a fait des milliers de martyrs et la rente pétrolière qui a putréfié toute les initiatives entrepreneuriales. En résumé, le régime algérien était plus atomisé, ce qui a conduit à une bifurcation des deux voies : l'économique et le politique qui ont pris des chemins différents et enchevêtrés par les discours de circonstance. La thérapie de choc initiée par le ministre des Finances de ce premier exécutif, non communiste, avait été critiquée, surtout que son équipe était surnommée "brigade Marriott", parce qu'elle était composée de Britanniques et d'Américains, et qui ne quittaient pas l'hôtel Marriott, devenu leur lieu de travail. Avec du recul et les résultats étalés aujourd'hui, la Pologne caracole, aujourd'hui, avec un taux de croissance de 3,5% et moins de 7% de chômage. Les changements intervenus dans tous les secteurs ont porté leurs fruits. À titre d'exemple, le e-commerce est une réalité, la monnaie fiduciaire a laissé la place à la carte, l'achat des tickets de transports ou d'entrée aux musées se fait par internet. Aujourd'hui que ce pays a un pied dans l'Europe, l'équipe au pouvoir plombe le second pied parce qu'elle hésite à être européenne, de peur d'être phagocytée par les membres fondateurs et de perdre un héritage d'empire, des temps anciens. Il faut reconnaître que l'Union européenne a été d'une grande aide à la réalisation de grands projets d'investissement dans le domaine des infrastructures ; si bien qu'actuellement, elle boude les investissements directs étrangers qui se chiffrent en milliards. Pour le programme 2007-2013, la Pologne a reçu une aide de 69 milliards d'euros et 82,5 milliards pour celui qui est en cours (2014-2020). De notre envoyé spécial : O. Abrous