Soixante-trois ans après le déclenchement de la Révolution, le constat est quasiment unanime : l'Etat social et démocratique rêvé par les concepteurs de la déclaration du 1er Novembre n'ont pas encore connu leur aboutissement. Si, à l'évidence, des réalisations ont pu être accomplies, il reste que des engagements attendent toujours d'être concrétisés, notamment la démocratisation effective du pays, la consécration d'un véritable Etat social et la construction du Grand Maghreb, comme souhaité lors de la déclaration de Tanger en 1958. "Il faut dire à ce régime qu'il ne faut pas sous-estimer les forces sociales et politiques qui convergent et animent la société algérienne, les Algériens et les Algériennes ne vont pas attendre 132 ans encore pour concrétiser les engagements et le serment de Novembre, après la libération du pays, le reste des dettes à honorer, l'instauration d'un Etat démocratique et social, la construction démocratique d'un Maghreb uni", met en garde Ali Laskri, membre de l'instance présidentielle du FFS à l'ouverture d'une conférence-débat organisée hier au siège du parti à Alger. "Nous déplorons 63 ans après que la loi de finances 2018, au lieu d'améliorer la situation sociale des Algériennes et des Algériens, ne fait que l'aggraver", souligne-t-il. Tout en dénonçant le caractère "injuste", "antisocial", "antipopulaire" et "antinational" de ce projet de la LF-2018, le membre de l'instance présidentielle du FFS soutient que ce texte, qui devrait être bientôt adopté par les deux chambres parlementaires, constitue "une trahison des idéaux de Novembre à plus d'un titre". "Nous assistons à la privatisation de l'Etat et des institutions, à la dépossession des citoyens de leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels", dit-il. Essentiellement axée sur la question sociale, cette conférence ayant pour thème "Préserver l'Etat social de la proclamation du 1er Novembre" a été également une occasion pour ce responsable de délivrer quelques messages politiques. "L'avenir du pays ne peut être décidé par l'oligarchie mais ne peut se concevoir que par la participation sans exclusion de tous ses enfants. La direction prise par ce pouvoir pour un état libéral est en contradiction avec l'esprit de Novembre", estime Laskri avant d'appeler à un "manifeste" en faveur d'un Etat social. "Nous appelons toutes les forces sociales et démocratiques à l'élaboration d'un manifeste pour un Etat social en opposition à l'Etat libéral que le régime est en train d'imposer au peuple algérien", conclut Laskri. Dans un diagnostic sans complaisance, chiffres à l'appui, Noureddine Bouderba, spécialiste des questions sociales et ancien syndicaliste, n'a pas manqué, de son côté, de mettre en exergue les marqueurs de la crise et les efforts qui, selon lui, restent à accomplir pour sauvegarder l'esprit de l'Etat social de Novembre face au rouleau compresseur, en chantier, du libéralisme et de la privatisation. "L'image des centaines d'étudiants devant l'Institut français d'Alger illustre la mal vie de notre jeunesse, car nous avons été incapables de leur léguer l'espoir et la possibilité d'aimer leur pays", résume Bouderba non sans mettre en garde contre un faux diagnostic de la crise. "L'Algérie paye des choix opérés depuis trente ans. Nous sommes en face d'un échec. Il ne faut pas se tromper de diagnostic. Ce n'est pas à cause de la chute des prix du pétrole", insiste-t-il. Rappelant que plus de 800 milliards de dollars ont été dépensés depuis 2000, dont plus de 560 milliards consacrés à... l'importation, "sans qu'on puisse mettre en place une économie diversifiée" et en permettant l'"émergence de nouveaux riches", Noureddine Bouderba observe que "l'oligarchie estime aujourd'hui le moment venu pour prendre les commandes économiques et pourquoi pas politiques". "Les déclarations chocs d'Ouyahia et le reportage sur la décennie noire semblent vouloir conditionner la population à l'austérité et au fatalisme", estime Bouderba. Seule satisfaction : le système de sécurité sociale, "l'une des plus belles réalisations de l'Algérie indépendante". "L'offensive néolibérale n'épargne aucun secteur social", tempère-t-il, cependant, en évoquant les velléités de privatisation du secteur de la santé, de l'enseignement supérieur et des entreprises publiques. Karim Kebir