Ingénieur d'Etat en informatique, Djaoued-Salim Allal est actuellement directeur général d'Adex Technology. Il est également président de l'Association algérienne des technologies de l'information (Atia). Il revient dans cet entretien sur les enjeux liés à la transformation digitale et son apport à l‘économie nationale. Liberté : Quand vous soutenez que les TIC devront être un moteur de croissance de l'économie, qu'entendez-vous par là ? Djaouad Salim Allal : La part actuelle des TIC en Algérie sur le PIB est de moins de 4%. Les moyennes globales mondiales sont entre 8 et 9%. La Tunisie atteint les 13,5%. Si nous arrivons à passer du stade de moins de 4% à un stade minimum de 9%, nous pouvons estimer la création de plus de 50 000 emplois supplémentaires direct à travers la création de milliers de nouvelles entreprises à travers le territoire national. Le secteur des TIC peut apporter à lui seul un minimum de 2% de croissance supplémentaire pour notre économie du fait que ce secteur s'appuie essentiellement sur la ressource humaine, son savoir-faire ainsi que l'innovation. D'après vous et suivant l'état actuel de ce secteur, pouvons-nous atteindre cette croissance ? Il faut le dire, beaucoup de choses ont été réalisées dans le domaine des TIC, et surtout dans l'accès à internet, et à un degré moindre, l'accès aux ordinateurs. D'ailleurs et à juste titre, l'indice de mesure de l'accès à internet reste louable. Maintenant, il faudrait peut-être que l'on tienne compte aussi d'autres indices de mesure de référence tels que le nombre de serveurs cryptés dans un pays. Cet indice met en valeur les aspects Datacenter, les logiciels, la sécurité, la production de contenus, et surtout le savoir-faire des intégrateurs locaux. Nous pensons que pour mener à bien cela, il faudra se focaliser sur les métiers qui peuvent assurer les relais de la croissance du domaine des TIC, tels que l'intégration de solution, le développement de logiciel et la maintenance. Il faudra aussi adopter une véritable politique d'encouragement de la chaîne de valeur de ce secteur. Nous dénotons avoir l'existence d'un véritable frein sur le secteur, qui est dû essentiellement au fait que les traitements de l'importation des produits technologiques sont soumis aux mêmes règles qui régissent l'importation du bonbon malheureusement. Nous devons absolument réfléchir à une procédure d'importation à part qui permettrait un traitement rapide et efficace des process liées à la logistique de livraison. Le logiciel aussi n'est pas épargné, car son processus d'importation relève d'un vrai parcours du combattant, pour ne pas dire de l'impossible. Ajouter à cela les nouvelles dispositions de loi de finances 2018, qui, si elles devaient être appliquées, auraient un impact désastreux sur le secteur. D'après vous, comment, en tant que président de l'Association algérienne des TIC et acteur dans le domaine, pourrait-on réaliser cette croissance ? Tout d'abord et comme préalable, il faut établir le socle de confiance entre les pouvoirs publics et les acteurs des TIC locaux. Ces derniers, malheureusement sont souvent perçus comme incompétents, voire parfois comme des opérateurs qui n'ont pas les moyens. Ce qui en résulte est que dans certains cas, on fait appel souvent à des opérateurs étrangers pour réaliser des projets TIC au lieu de faire appel à des acteurs locaux dans le domaine. Pour l'organisation de la filière TIC avec toutes ses chaînes de valeurs, il faut absolument organiser et encourager d'autres métiers tels que l'industrie du logiciel, par exemple avec la levée des taxes douanières pour tous les produits technologiques ainsi que la mise en place d'un équivalent du couloir vert pour les produits de ce secteur, mettre en place un régime fiscal spécifique qui considère les produits informatiques comme étant des intrants de production nationale même s'ils sont des produits finis, se redéployer sur l'industrie de l'innovation à travers le développement des nouvelles technologies telles que les technologies des objets connectés, logiciel l'IOT, la Cyber sécurité, l'intelligence artificielle, la transformation digitale, le e-commerce, le développement de contenus et la mise en place de data centers de proximité et enfin encourager des jeunes diplômés et jeunes talents à travers des incubateurs qui ont des idées innovantes, en s'inspirant du modèle en cours du projet Alger Smart City. Tout cela aiderait à mettre en place une réelle économie numérique. Vous présidez actuellement une organisation qui s'appelle Atia, pouvez-vous nous la présenter ? Effectivement, et cela m'honore beaucoup, je préside l'association nationale Atia (Association algérienne des technologies de l'information), qui est en attente d'agrément depuis juin 2017. Elle compte actuellement 43 membres dont 28 fondateurs. Elle est constituée par des professionnels représentant toutes les chaînes de valeurs de l'IT, qui emploient plus de 800 personnes dont 70% de cadres diplômés universitaires. Atia a pour objectif la participation active dans la promotion des TIC en Algérie et dans l'intérêt de l'Algérie ainsi que la fédération et regroupement de tous les professionnels des TIC pour assurer la représentation de ses membres auprès des pouvoirs publics et au niveau national et international. Durant ces derniers mois, vous n'avez pas cessé de plaider et de sensibiliser les acteurs économiques sur la transformation digitale. La transformation digitale est un enjeu majeur, pas seulement pour notre économie, mais également pour toutes les instituons de l'Etat. Elle recentre l'intérêt sur le citoyen et le consommateur. Je citerais l'exemple illustratif du projet de transformation digitale dans le secteur de la justice. Vous rappelez-vous, il y a de cela 15 ans, retirer son casier judiciaire était un parcours du combattant. La transformation digitale a non seulement permis de répondre à un besoin du citoyen de lui faciliter l'accès n'importe où et à n'importe quel moment, mais elle a aussi permis d'avoir une base de données permettant aux pouvoirs publics d'avoir les informations en temps réel. Si nous prenons un autre exemple qui est celui du système bancaire, il y a de cela quelques années, le centre d'intérêt était le guichet. Et nous étions tributaires des horaires de travail à savoir de 9h à 15h30. Aujourd'hui, l'intérêt a été recentré sur le client et ses exigences. Il peut, ainsi, consulter et effectuer des opérations sans contrainte de temps et de lieu. Ajouter à cela l'introduction du e-commerce et les payements électroniques. Cela va impacter positivement la vie des citoyens sans avoir la contrainte du temps et de l'espace. En plus de cela, il y aura l'émergence d'un tissu économique plus grand dans la Toile, qui lui aussi ne tiendra plus compte des facteurs lieu et temps. Attention à ne pas confondre transformation digitale avec commerce en ligne ou digital marketing. Ces deux derniers ne sont qu'une partie du processus de digitalisation, voire la finalité parfois. Quels sont les risques liés à la transformation digitale ? Nous parlons de la révolution numérique avec tous ces enjeux. Donc à chaque enjeu majeur, il y a un risque majeur. Il y a deux catégories de risques dans la transformation digitale. À savoir les risques liés à la technologie. Généralement, la sécurité informatique, les bugs informatiques, les pertes de données, l'interruption de service, sont prises par une bonne conception technologique adossée à une bonne stratégie de cybersécurité. Un savoir-faire dédié au DSI avec l'accompagnement des intégrateurs des solutions IT. Les risques liés aux métiers et sa conduite au changement. Cette catégorie symbolise le bouleversement de notre quotidien. D'ailleurs, les études démontrent qu'il est prévu la disparition de 45% des métiers traditionnels d'ici 5 ans et leur remplacement par d'autres liés à la technologie des TIC. L'exemple le plus frappant étant l'apparition des banques en ligne qui se substituent aux banques traditionnelles. L'exemple d'Uber est un cas d'école. Uber est une société de transport de taxis à travers le monde. Elle a capitalisé 50 milliards de dollars en 5 ans. L'équivalent de ce qu'a fait General Motors, le géant américain de l'automobile en 40 ans. Ironie du sort, si Uber ne possède ni taxi ni chauffeur, elle a juste une plateforme numérique, et cette société, non seulement elle concurrence les sociétés de taxis, mais elle concurrence également les géants de l'automobile en quête de croissance. De ce fait, et j'en profite pour faire véhiculer un message à nos chefs d'entreprise qui pensent être à l'abri de cette transformation digitale, attention : pensez dès maintenant à inclure le projet de transformation digitale, même si cela pourrait être considéré comme de la veille technologique, dans vos entreprises, car la vague numérique peut être salvatrice ou dévastatrice. Et si vous deviez conclure... ? Je crois fermement que les TIC sont la locomotive de notre croissance économique, car si nous optons pour une stratégie des TIC ambitieuse basée essentiellement sur les ressources humaines locales et les métiers à forte valeur ajoutée tout en mettant les infrastructures nécessaires, nous pouvons contribuer largement à la mise en place d'une alternative économique significative et indépendante des revenus des hydrocarbures. M. M.