"On ne veut pas faire de l'université un lieu de réflexion, mais une fabrique de diplômes", a martelé M. Djabi, qui estime qu'il n'y a pas de réflexion sur l'avenir du pays. L'université algérienne vit, aujourd'hui, une crise multidimensionnelle. Celle-ci est due essentiellement à sa gestion politique, centralisée et quantitative. C'est le constat amer dressé, hier, par le sociologue Nacer Djabi et son camarade Adel Abderrezak, professeur à l'université de Khenchela, lors de leurs interventions au Café littéraire de Béjaïa, tenu dans l'après-midi d'hier, au théâtre régional Abdelmalek-Bouguermouh (TRB) de la même ville. Le premier à intervenir a été le professeur Djabi qui tient à rappeler, d'emblée, la polémique qu'a suscitée sa demande de départ à la retraite qu'il a publiée sur sa page facebook, en mai dernier. Selon lui, sa décision de partir a été considérée comme une démission "fracassante" par la presse nationale, voire de certains médias étrangers. Toutefois, il reconnaît avoir mis en exergue le malaise que traverse l'université algérienne. "Un malaise qu'aucun organisme d'Etat, ni aucun parti politique, encore moins un ministre ou homme d'Etat n'a daigné diagnostiquer d'une manière sérieuse. Il n'y a aucune étude approfondie sur la crise que connaît notre université", déplore M. Djabi, tout en battant en brèche l'ensemble des programmes de "réformes" engagés jusque-là par les différents gouvernements qui se sont succédé au sommet de l'Etat algérien depuis l'indépendance à nos jours. Evoquant l'instabilité et la politique de replâtrage qu'a connue le secteur de l'enseignement supérieur, l'orateur regrette que "pendant une certaine période, la moyenne de longévité d'un ministre de tutelle était de 10 mois seulement !" Fort de ses 37 ans de carrière en tant qu'enseignant universitaire, M. Djabi déplore que l'université algérienne, au lieu de construire une élite, se contente de produire des diplômés. "On ne veut pas faire de l'université un lieu de réflexion, mais une fabrique de diplômes !", martèle-t-il, avant d'enchaîner : "Qui réfléchit sur l'avenir du pays ? Il n'y a malheureusement aucune vision prospective." Pour cet éminent sociologue, l'étudiant algérien est confronté au problème de langue, citant, à titre d'exemple, le cas de l'université de Bouzaréah (Alger), où la plupart des étudiants se découvrent incapables de suivre leurs études en langue française, après un long cursus scolaire fait exclusivement en langue arabe. Au-delà de la qualité des études prodiguées, le conférencier relève "la détérioration des conditions de travail et la dégradation des relations professionnelles, qui se traduisent par le climat de violence qui règne dans nos universités". En conclusion, le professeur Djabi se dit "pessimiste", estimant que "l'université algérienne n'est plus réformable. Pour preuve, personne n'ose engager des réformes profondes et sérieuses". Pour sa part, le professeur Adel Abderrezak regrette que "chaque année, pas moins de 26 000 étudiants algériens formulent des demandes de visas d'études à l'étranger, notamment en France", avant de qualifier le fameux "Campus France" d'une forme de "néocolonialisme". Pour l'orateur, la gestion de l'université est basée sur le tribalisme, l'autoritarisme, les rapports de forces politiques... "Si les recteurs se comportent en shérifs, les doyens comme des omnipotents, il n'en demeure pas moins que les enseignants sont aussi dans une logique de fonctionnariat et de gestion de carrière, plutôt que de construire une élite", a-t-il déploré. Kamal Ouhnia