Après l'école, c'est l'université qui a le don d'enflammer les débats. On a eu à le vérifier samedi dernier au Théâtre régional de Béjaïa, qui a abrité un Café littéraire, consacré à l'université algérienne. Pour la rencontre, les animateurs du Café littéraire de Béjaïa avaient convié le professeur des universités, Ahmed Rouadjia, et l'universitaire et ancien porte-parole du Cnes, Adel Abderrezak, qui a tenu à saluer l'un des rares espaces de débats critiques à travers le territoire national. Avant d'entrer dans le vif du sujet, les organisateurs ont tenu à rendre, une nouvelle fois, hommage à l'immense Assia Djebar, enterrée vendredi à Cherchell dans sa région natale. Les conférenciers ont, pour leur part, salué la mémoire du sociologue, feu Djamel Guerid, qui a coordonné le livre Repenser l'Université, paru chez Arak Editions, en novembre 2014. Feu Djamel Guerid, disciple de Pierre Bourdieu, était titulaire d'un doctorat d'Etat ès lettres et sciences humaines à Paris VII. Aussi, le Pr Rouadjia citera longuement le défunt sociologue. "En 1954, l'Université algérienne comptait 503 étudiants, en 1962, 2 750 et en 2012-2013, ils sont près de 1 400 000. Ils sont présentement quelque 1,5 million". Le professeur Rouadjia n'a pas été particulièrement tendre avec les enseignants, qu'il accuse, de se complaire dans la facilité, d'être dans les arrangements aussi bien avec les étudiants, qui n'attendent au bout que le diplôme et les notes pour y franchir allègrement les années ; arrangements aussi avec l'administration obsédée par les chiffres et auprès de laquelle on peut quémander des logements, des promotions et des stages à l'étranger au détriment de la qualité de l'enseignement et de la sauvegarde de l'université. "Il y a un progrès quantitatif certes, mais au détriment de la qualité", a-t-il déploré. Conséquences : "On a des docteurs par chapelets, arabophones notamment, qui ont fermé la porte de l'Ijtihad. Ils utilisent un Islam littéraliste." Il estime qu'"ils sont plus dangereux que les groupes terroristes". Cela est, pour lui, la conséquence de l'arabisation, forcée et irréfléchie des enseignements. Ahmed Rouadjia a insisté, en outre, sur l'importance de réfléchir sur les universités réelles. "Que signifie et quels enseignements tirer de l'implantation d'une multitude d'institutions universitaires partout dans le pays ? N'y a-t-il pas risque, ce faisant, de travailler à la formation d'élites régionales aux dépens de la nécessaire élite nationale ? La multiplication des universités, le gigantisme de plusieurs d'entre elles et les besoins nouveaux exprimés par l'environnement n'exigent-ils pas de poser, en termes nouveaux, le problème de la gouvernance universitaire ?" L'enseignant universitaire, Adel Abderrezak, dira, à ce propos, que Béjaïa, qui est à vocation agroalimentaire, aurait pu se spécialiser dans cette branche d'activité. On aurait pu dispenser des enseignements dans cette filière plutôt qu'une autre. Et il confirmera durant les débats que l'université n'est qu'une partie d'un tout, le système d'enseignement dans son ensemble et la réflexion comme l'action par la suite doivent concerner le tout. Ce sont, en effet, les élèves du primaire, du moyen qui deviennent lycéens et ceux-ci deviennent, à leur tour, étudiants. C'est en ce sens que l'existence de deux ministères, l'Education nationale et l'Enseignement supérieur ne fait que compliquer les choses, a insisté Adel Abderrezak, qui était aussi membre de la commission Benzaghou, qui a fait des recommandations dans le cadre de la refonte du système éducatif mais que les décideurs avaient mis aux oubliettes. M. O.