Abderrezak Dourari, docteur d'Etat en linguistique et directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight (CNPLET), considère que la normalisation et la standardisation de la langue amazighe, telles qu'elles se pratiquent actuellement, n'aboutiront pas. Lors d'une rencontre animée au siège du quotidien arabophone El Djazaïr, M. Dourari a explicité son point de vue de linguiste et non de militant politique. Pour lui, la problématique de la généralisation de l'enseignement de la langue amazighe et sa normalisation peuvent être perçues, sur le plan politique, comme une demande légitime et juste. Mais il n'en demeure pas moins, a-t-il dit, que sur le plan pratique et linguistique, cela poserait problème. Il en veut pour preuve cette "langue nouvelle, créée pour en faire une seule langue". "Il est difficile de créer une langue à partir de plusieurs variantes", a-t-il encore dit. Son exposé l'a mené à diagnostiquer la politique linguistique et culturelle appliquée depuis l'indépendance du pays. Fait de monolinguisme imposé avec comme corollaires un seul parti, une seule pensée, une seule orientation religieuse... "L'échec de cette politique linguistique se mesure à la réalité linguistique nationale faite d'une richesse inestimable de langues, de parlers et de variétés", a-t-il expliqué, précisant que le conflit "linguistique" actuel "est un héritage du Mouvement national". "L'arabe scolaire imposé n'a rien à voir avec l'arabe algérien", a-t-il dit, précisant que l'arabe algérien est composé du punique, de l'amazigh, du perse, du turc... "L'organisation juridique de l'Etat pose problème", a estimé le Dr Dourari, expliquant que le fonctionnement actuel de l'Etat "est comme cette force centrifuge qui isole le citoyen et crée des extrêmes", regrettant, au passage, "la disparition du rapport de la Commission Missoum Sbih sur la réforme de l'Etat". Comme solution à la normalisation qu'il considère comme "une fausse route", il préconise "la standardisation et la normalisation des variétés, chacune dans son territoire", pour aboutir, si une demande sociale se faisait sentir, "à une normalisation globale de la langue amazighe". Une projection qui s'apparente à un plaidoyer pour "une langue pour une région", car, a-t-il estimé : "Pourquoi imposer une variété dans une région qui en parle une autre ?" "On retombera dans l'éternelle dialectique de l'un et du multiple", a-t-il répondu, ajoutant que l'éducation nationale "n'est pas outillée pour répondre à cette fonction". "Seule une fonction sociale et économique peut imposer une unicité de la langue", a-t-il souligné, rappelant que l'amazighité "est le socle identitaire de toute l'Afrique du Nord". "Il nous faut une normalisation des statuts pour aboutir à une normalisation du corpus", a-t-il encore plaidé, expliquant qu'actuellement, le statut de la langue, sur le plan constitutionnel, est acquis. À propos de la reconnaissance de tamazight comme langue "officielle" dans la Constitution, il a souligné que c'est une reconnaissance de l'Algérie algérienne, car "l'arabe n'est la langue maternelle de personne, et elle est une appartenance culturelle et non ethnique". Mohamed Mouloudj