Résumé : À bout de nerfs, Anissa contacte sa mère pour lui demander si elle pouvait rentrer. Cette dernière est offusquée. Voulait-elle tuer ses parents en revenant chez eux au lendemain de ses noces ? Anissa subira la colère de sa mère, avant de rejoindre sa belle-mère dans la cuisine. La vieille femme se passe la main sur le front, et se redresse en se tenant le dos. -Si tu veux m'aider, tu n'as qu'à terminer le rinçage de ce linge que je viens de savonner. Mon dos me torture dès que je me penche sur ma bassine. -C'est normal, tu n'as plus l'âge de faire ces travaux. -Qui d'autre pourra les faire à ma place ? -Les filles devraient venir de temps à autre te donner un coup de main. -C'est le cas, mais je n'aime pas abuser de leur temps. Elles ont déjà assez à faire dans leur foyer. Maintenant que tu es parmi nous Anissa, nous pourrions nous partager les tâches ménagères. Cela me permettra de souffler un peu et surtout de mieux m'occuper de ma vieille mère et de ton beau-père Ahmed. Il est âgé et sa santé le lâche. Anissa tire un jerrican qui se trouvait sous l'évier de la cuisine, puis remplit une bassine d'eau, avant de procéder au rinçage du linge que sa belle-mère venait de savonner. Elle repense à la machine à laver qu'elle avait achetée il y a quelques années pour soulager sa mère des corvées de la lessive. Comme si elle lisait en elle, la vieille Zahia lance : -Nous ne pouvons penser à l'achat d'une machine à laver. Il y a trop de contraintes. D'abord, nous vivons à l'étroit, et nous n'avons pas où la mettre ; ensuite, il va falloir économiser sur le salaire de Mourad et la pension de ton beau-père, des mois durant, pour ramasser la somme requise à son acquisition ; et pour finir, nous avons un problème de coupure d'eau quotidien, ce qui va entraver son utilisation, sans compter qu'il va falloir aussi penser aux factures d'eau et d'électricité qui vont grimper. Anissa lève les yeux au ciel. Ce n'était que le début, se dit-elle. Que lui réserve donc l'avenir ? Puis ne voulant pas se montrer impertinente, elle renchérit : -Tout le monde fait ce qui lui semble le mieux, Yemma Zahia. Anissa qui venait de terminer sa corvée relève ses yeux vers sa belle-mère. -Tu veux que j'aille étendre ce linge sur le balcon de la cuisine, ou bien le feras-tu toi-même ? -Vas-y, étends-le, les voisines vont sûrement jacasser entre elles en te voyant sur le balcon. Elles comprendront que tu es la nouvelle mariée. -Les voisines ne me dérangent pas, par contre Mourad m'a interdit de me mettre sur le balcon. Une scène avait éclaté entre nous ce matin à ce sujet. Zahia secoue la tête. -Mon fils divague. Comment voudra-t-il que tu m'aides s'il s'amuse à mettre des barrières ? Anissa pousse la bassine vers le balcon, puis prend la corbeille à pinces et se met à étendre son linge. Mourad n'était pas là, et puis tant pis, elle ne va tout de même pas passer sous son joug et exécuter ses ordres à la lettre. Elle était son épouse légitime, pas une esclave qu'il avait achetée au marché. Une fois sa tâche terminée, elle se penche et remarque que le quartier grouillait de monde à cette heure de la journée. Des jeunes rasaient les murs, des enfants jouaient dans la cour, des marchands ambulants se tenaient à côté de leurs camions, des femmes faisaient leur ménage et déversaient des seaux d'eau de leurs balcons, des chats et chiens errants se disputaient quelques restes de dîner devant les poubelles. Zahia s'approche d'elle. -Ne sois pas étonnée, Anissa, de découvrir un monde différent du tien, nous vivons dans ce quartier depuis de longues années, et je peux te jurer que rien n'a changé. C'est tous les jours le même scénario qui se répète. -Je ne sais pas si je pourrais m'habituer à toute cette agitation. -Il le faudra bien pourtant. La jeune femme reprend sa bassine et retourne dans la cuisine. Sa belle-mère la suit et se met à dresser la table pour le déjeuner. -J'ai préparé des lentilles, mais il y a aussi un reste du couscous d'hier. Si tu veux, je vais le réchauffer. -Non, merci Yemma Zahia, je n'ai pas très faim. -Voyons Anissa, si tu persistes à ne pas manger, tu vas dépérir et ta famille pensera qu'on ne te nourrit pas. -Ma famille ne se préoccupe pas de moi. Elle sent les larmes remonter à ses yeux et passe une main rageuse sur son visage. Zahia dépose une marmite sur le feu et y rajoute un peu d'eau, avant de répondre : -Je ne suis pas de cet avis, je suis mère de famille et je sais de quoi je parle. Mes filles sont certes mariées et vivent à l'aise dans leur foyer, mais cela ne m'empêche pas de demander de leurs nouvelles, ou de les inviter de temps à autre à la maison pour un petit séjour ou du moins pour un dîner. Ta mère ne va tout de même pas t'oublier, Anissa, parce que tu as quitté la maison. (À SUIVRE) Y. H.