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Il y a 60 ans, la bataille d'Iamoren
Elle reste encore un fort motif de gloire pour la population de la région
Publié dans Liberté le 28 - 06 - 2018

Une centaine de soldats français auraient péri pendant cette longue et meurtrière journée. Le lendemain, une noria d'hélicoptères n'a cessé d'évacuer les morts et les blessés vers les hôpitaux d'Akbou, Béjaïa et Sétif.
Un nom évocateur qui symbolise l'une des plus importantes batailles engagée par l'ALN, au Douar Ighram (près d'Akbou). En réalité, cette bataille a concerné plusieurs villages, particulièrement Iamoren, Ighil Nacer et Iguervane. Cette bataille mémorable à laquelle ont participé, avec honneur et gloire, les combattants de la zone II, Wilaya III, a débuté le soir du vendredi 27 par un bref accrochage ayant mis aux prises, près du village d'Ighil Nacer, un détachement ennemi avec la première compagnie du bataillon de choc de la Wilaya III. Cependant, au lieu de quitter le secteur et aller le plus loin possible à la faveur de la nuit, afin d'éviter l'affrontement recherché par l'adversaire au cours d'une opération de ratissage qu'il a certainement prévu de déclencher dès le lendemain, la compagnie a donc fait le choix de se poster près du village d'Iamoren, une position jugée stratégique, sur les hauteurs du douar Ighram, où elle est accueillie par une population totalement acquise.
En prévision d'un lendemain qui s'annonçait très chaud et faisant preuve d'un courage exceptionnel, les habitants de ce village, déjà éprouvés, se sont mobilisés durant une grande partie de la nuit, pour préparer le repas des djounoud. En effet, le lendemain à l'aube, après avoir reçu des renforts, l'ennemi a déployé plusieurs bataillons afin de boucler le douar en l'encerclant de toutes parts. Son but est clair. Il vise l'élimination totale de tous les combattants qui s'y trouvent, notamment ceux accrochés la veille à Ighil Nacer. À cet égard, une compagnie et une section de 120 et 35 hommes peut-elle faire face à l'armada estimée à 5 000 soldats alignés, soutenus par l'aviation et l'artillerie ? Autrement dit le rapport de forces est largement avantageux pour l'adversaire qui ne fera donc qu'une seule bouchée de nos combattants. Une logique fatale qui, cependant, ignore la foi inébranlable, le courage et l'abnégation qui animent nos djounoud, combattants engagés pour une noble cause pour laquelle ils sont prêts à mourir.
En attendant le début du combat, les djounoud de la compagnie occupent la crête au-dessus d'Iamoren, tandis qu'en contrebas, la section du secteur, ayant déjà pris position à l'abri de l'oliveraie d'Iguervane, attend de pied ferme l'arrivée des premiers assaillants. Le choc est violent. Le combat est alors engagé pendant lequel chaque combattant défend sa position avec acharnement. La première compagnie du bataillon, une unité d'élite aguerrie, fortement armée, résiste bien et repousse les vagues successives des assaillants dopés par de la gniole, un stimulant à base d'alcool et d'anabolisants.
Vers onze heures, usant d'un porte-voix, le colonel commandant les unités en opération, après avoir rendu hommage à nos combattants et flatté leur bravoure, lance un ultimatum en les invitant à se rendre avant midi, faute de quoi des moyens plus persuasifs seront alors mis en œuvre. Or, à l'heure prévue, constatant que l'ultimatum n'a eu aucun effet sur leur détermination à poursuivre le combat, un déluge de feu et de fer s'est alors abattu sur le vaste champ de bataille, englobant Iamoren et Iguervane, subitement transformés en fournaise par l'usage intensif du napalm. Cette arme dévastatrice, non conventionnelle, utilisée pour la première fois, a embrasé des oliviers centenaires et transformé en torches humaines beaucoup de nos vaillants combattants. Les avions T6, les bombardiers B.29, les chasseurs anglais et les hélicoptères, arrivés en force, ont occupé le ciel. Ils sont tellement nombreux qu'ils ont, selon des témoins oculaires, "assombri le ciel".
Les vagues successives de bombardiers larguant des bombes et mitraillant les positions occupées par nos djounoud avec une telle férocité, qu'il est vain d'espérer trouver encore des survivants. C'est ainsi que, fort de cette conviction, l'ennemi, déployé en groupes de tirailleurs, avance de nouveau au milieu des arbres calcinés et des trous d'obus béants, persuadé d'être seul sur le terrain. Puis, au moment où il s'y attendait le moins, il est accueilli par un feu nourri, faisant des ravages dans ses rangs, dans un corps-à-corps qui ne lui laisse aucune chance de repli. Des dizaines de soldats jonchent le sol offrant ainsi l'occasion à nos djounoud de s'emparer de leurs armes et même de leurs vêtements. Le combat reprend alors de plus belle, alterné par les bombardements visant les foyers de résistance, jusqu'au moment où survient une scène ahurissante montrant des soldats ennemis, à court de munitions, courir éperdument se retrancher à l'intérieur des maisons avoisinantes, désertées par leurs habitants, en attendant d'être approvisionnés par les hélicoptères. Une trêve providentielle dont les djounoud profitent pour se réorganiser et changer de position pour mieux résister aux assauts de l'aviation, en attendant la nuit.
Les combats se sont poursuivis avec la même violence et n'ont cessé qu'après la tombée de la nuit. Les habitants des villages d'Iamoren et d'Iguervane, voués au déluge de fer et de feu en même temps que les djounoud, ont fait preuve d'un admirable courage et d'un dévouement exemplaire en dépit des nombreuses pertes et destructions subies. Le courageux responsable du service de santé du secteur, Mohand Larbi Mezouari, présent durant ces combats, s'est employé à sauver des vies humaines en prodiguant des soins d'urgence aux nombreux blessés et brûlés avant de faire acheminer les plus atteints vers l'hôpital de l'Akfadou où nous les avions accueillis et soignés.
Le bilan est très lourd. Trente djoundis ont perdu la vie, parmi eux l'adjudant Arrouche dit "Ali Baba", chef de la première compagnie du bataillon. Puis, après avoir rassemblé les blessés, notamment ceux pouvant se déplacer, les djounoud de la compagnie et ceux de la section se réorganisent et rompent l'encerclement en quittant le secteur à la faveur de la nuit, suivis par les fusées éclairantes à parachute, lancées par l'ennemi. Quant aux soldats français, n'ayant plus la couverture aérienne pour assurer leur protection, ils sont dès lors contraints de garder leurs positions en installant un bivouac pour la nuit. Ils ont, de toute évidence, perdu beaucoup d'hommes. Car, selon des témoignages dignes de foi, recueillis auprès de la population, une centaine de soldats français, au moins, auraient péri pendant cette longue et meurtrière journée. Et pour preuve, durant toute la journée du lendemain, une noria d'hélicoptères n'a cessé d'évacuer les morts et les blessés vers les hôpitaux d'Akbou, Béjaïa et Sétif.
Ce jour-là, nos combattants ont remporté une victoire retentissante. En ayant d'abord réussi à résister héroïquement contre une force bien supérieure, tant en nombre qu'en moyens d'intervention, et en lui infligeant des pertes considérables, mettant ainsi en échec son objectif majeur : celui d'anéantir tous nos combattants pour ne laisser aucun survivant. Ce grand moment de gloire témoigne, à l'évidence, du lourd sacrifice consenti par les hommes et les femmes du douar Ighram pour l'indépendance de notre pays. Il constitue pour eux, comme pour toute la population de la région, un motif de fierté, rappelant, pour mémoire, les nombreux affrontements dont fut le théâtre ce douar et ses dix-sept villages, et où la première grande bataille avait déjà eu lieu, en janvier 1956, au village d'Ath Amar Ouzegane.
Gloire éternelle à nos chouhada.
Par : Abdelmadjid Azzi


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