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Il y a 58 ans, la bataille d'Iamoren
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 06 - 2016


Par Abdelmadjid Azzi
C'est l'une des grandes batailles parmi toutes celles, nombreuses, menées par l'ALN, à laquelle ont participé, avec honneur et gloire, les djounoud de la Zone II, Wilaya III, et qui fut engagée et remportée le samedi 28 juin 1958.
Cette bataille mémorable a débuté le vendredi 27 au soir, par un bref accrochage ayant mis aux prises un détachement ennemi, près du village d'Ighil Nacer, et l'une des compagnies du bataillon de choc de la Zone II.
Au lieu de quitter le secteur en s'éloignant à la faveur de la nuit, afin d'éviter l'affrontement lors d'un probable ratissage, la compagnie a manifestement choisi de se rendre au village d'Iamoren, une position jugée stratégique, situé sur les hauteurs du douar Ighram, où elle est accueillie par une population totalement acquise à la Révolution. Faisant preuve d'un courage exceptionnel, les habitants éprouvés se sont mobilisés durant une grande partie de la nuit, pour préparer le repas des djounoud, en prévision d'un lendemain qui s'annonce très chaud d'autant que l'ennemi qui n'abandonne pas si facilement va probablement entamer des poursuites en déclenchant un ratissage
En effet, le lendemain à l'aube, après avoir reçu des renforts, l'ennemi a déployé plusieurs bataillons afin de boucler le douar en l'encerclant de toutes parts. Son but visait manifestement l'élimination de tous les djounoud qui s'y trouvaient, notamment ceux accrochés la veille à Ighil Nacer.
A priori, que pouvait faire une compagnie de 120 djoundi et une section de 35 combattants, face à l'armada estimée à 5 000 soldats, alignés et soutenus par l'aviation et l'artillerie ? Théoriquement, selon la disproportion des forces en présence donnant un avantage considérable à l'ennemi, celui-ci ne fera qu'une seule bouchée de nos djounoud. Mais c'est compter sans la foi, la motivation et la noble cause pour laquelle ils étaient prêts à mourir et qui, au fond, fera nettement la différence.
En attendant le début des combats, les djounoud de la compagnie occupent la crête au-dessus d'Iamoren, tandis qu'en contrebas, la section du secteur, ayant déjà pris position à l'abri de l'oliveraie d'Iguervane, attend de pied ferme l'arrivée des premiers assaillants. Le choc est brutal. Un violent combat est alors engagé pendant lequel chaque combattant cherche à défendre sa position avec acharnement. La compagnie du bataillon, une unité d'élite, fortement armée, résiste bien et repousse les vagues successives d'assaillants dopés par de la gnole, un stimulant à base d'alcool et d'anabolisants.
Vers 11 h, usant d'un porte-voix, le colonel commandant les unités en opération, après avoir rendu hommage à nos combattants et flatté leur bravoure, leur adresse un ultimatum en les invitant à se rendre avant midi, faute de quoi des moyens plus persuasifs seront alors mis en œuvre.
Or, à l'heure prévue, constatant que l'ultimatum n'a eu aucun effet sur la détermination des djounoud à poursuivre le combat, un déluge de feu et de fer s'est alors abattu sur le vaste champ de bataille, englobant Iamoren et Iguervane, subitement transformés en fournaise par l'usage intensif du napalm. Cette arme dévastatrice, non conventionnelle, utilisée pour la première fois, a embrasé des oliviers centenaires et transformé en torche humaine nos vaillants combattants. Les avions T6, les bombardiers B.29, les chasseurs anglais et les hélicoptères, arrivés en force, ont occupé le ciel. Ils sont tellement nombreux qu'ils ont, selon des témoins oculaires, réussi à «assombrir le ciel».
Les vagues successives de bombardiers larguant des bombes et mitraillant dans tous les sens les positions occupées par nos djounoud avec une telle intensité qu'il était vain d'espérer retrouver des survivants. Dès lors, et fort de cette conviction, l'ennemi, déployé en tirailleur, avance de nouveau au milieu des arbres calcinés et des trous d'obus béants, persuadé d'être seul sur le terrain. Puis, au moment où il s'y attend le moins, il est accueilli, soudain, par un feu nourri faisant des ravages dans ses rangs et ne lui laissant aucune chance de repli.
Des dizaines de soldats jonchent le sol offrant ainsi l'occasion à nos djounoud de s'emparer de leurs armes et même de leurs vêtements. Le combat reprend alors de plus belle, alterné par les bombardements visant les foyers de résistance, jusqu'au moment où survient une scène ahurissante montrant les soldats ennemis, à court de munitions, courir à perdre haleine pour se retrancher à l'intérieur des maisons avoisinantes, désertées par leurs habitants, en attendant d'être approvisionnés par les hélicoptères. Les djounoud profitent alors de cette trêve providentielle pour se réorganiser et changer de position pour mieux résister aux assauts de l'aviation en attendant la nuit.
La violence du combat n'a cessé qu'après la tombée de la nuit. Les habitants du village d'Iamoren et d'Iguervane ont tous vécu le déluge de fer et de feu en même temps que les djounoud. Ils ont fait preuve d'un admirable courage et d'un dévouement exemplaire malgré les nombreuses pertes et destructions subies. Le responsable du service de santé du secteur, Mohand Larbi Mezouari, s'est employé à sauver des vies humaines en prodiguant des soins d'urgence aux nombreux blessés et brûlés avant de faire acheminer les plus atteints vers l'hôpital de l'Akfadou où nous les avions accueillis et soignés.
Le bilan est très lourd. Trente djoundi ont perdu la vie, parmi eux le chef de compagnie, l'adjudant Arrouche dit «Ali Baba». Puis, après avoir rassemblé les blessés, notamment ceux pouvant se déplacer, les djounoud de la compagnie et ceux de la section se réorganisent et rompent l'encerclement en quittant le secteur à la faveur de la nuit, suivis par les fusées éclairantes à parachute, lancés par l'ennemi.
Quant aux soldats français, n'ayant plus de couverture aérienne pour assurer leur protection, ils sont dès lors contraints de garder leur position en installant un bivouac pour la nuit. Ils ont, de toute évidence, perdu beaucoup d'hommes.
Car, selon des témoignages dignes de foi, recueillis auprès de la population, plus d'une centaine de soldats, au moins, auraient péri pendant cette longue et meurtrière journée. Et pour preuve, durant toute la journée du lendemain, une noria d'hélicoptères n'a cessé d'évacuer les morts et les blessés vers les hôpitaux d'Akbou, de Béjaïa et de Sétif.
Ce jour-là, nos combattants ont remporté une victoire retentissante. En ayant d'abord réussi à résister durement contre une force bien supérieure, tant en nombre qu'en moyens d'intervention, et en lui infligeant des pertes considérables, mettant ainsi en échec son objectif majeur : celui d'anéantir tous nos combattants en ne laissant aucun survivant.
Ce grand moment de gloire témoigne à l'évidence du lourd sacrifice consenti par les hommes et les femmes du douar Ighram pour l'indépendance de notre pays.
Il constitue pour eux, comme pour toute la population de la région, un motif de fierté rappelant, pour mémoire, les nombreux affrontements dont fut le théâtre ce douar et ses dix-sept villages, et où la première grande bataille avait eu lieu déjà, en janvier 1956, au village d'Ath-Amar-Ouzegane.


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