L'annonce de la retraite internationale du footballeur allemand Mesut Özil, accusant ses détracteurs de "racisme", a viré hier à la polémique, certains dénonçant ses "jérémiades" quand la Turquie saluait son combat contre "le fascisme". Le milieu de terrain d'origine turque peut se targuer néanmoins du soutien d'Angela Merkel : "Mesut Özil est un joueur de foot qui a beaucoup fait pour l'équipe nationale. Mesut Özil a désormais pris une décision qui doit être respectée", a dit hier une porte-parole de la chancelière. La réponse la plus violente au joueur d'Arsenal de 29 ans est venue sans surprise du quotidien populaire Bild, qui fait campagne depuis des semaines contre lui en raison d'une rencontre en mai avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, interprétée comme un manque de patriotisme à quelques semaines du Mondial. Le journal dénonce "une démission faite de jérémiades décousues", en référence à la charge lancée tous azimuts sur Twitter par le joueur. Bild reproche au champion du monde 2014 de soutenir "un despote" qui cherche à imposer une "dictature islamiste". Bild attaque ensuite son niveau de jeu "lamentable" qui a participé à l'élimination humiliante de la Mannschaft en Russie. À l'extrême inverse, le ministre turc de la Justice, Abdulhamit Gul, louait sur Twitter le "but" d'Özil contre le racisme en Allemagne : "Je félicite Mesut Özil qui en quittant l'équipe nationale a marqué le plus beau but qui soit contre le virus du fascisme." Ankara et Berlin entretiennent des relations difficiles depuis le putsch raté en Turquie de 2016, le gouvernement turc dénonçant les accusations allemandes de dérive répressive. M. Erdogan est allé jusqu'à tracer un parallèle entre l'Allemagne contemporaine et le nazisme. Né en Allemagne de parents et grands-parents turcs installés dans le pays, le joueur a abandonné sa nationalité turque en 2007 pour devenir allemand. Dans sa lettre de quatre pages, feuilletonnée sur Twitter dimanche, il lance une attaque en règle contre le traitement médiatique et le racisme dont il s'estime victime, accusant tout particulièrement le président de la Fédération allemande de football (DFB), Reinhard Grindel, un ancien député conservateur et pourfendeur durant sa carrière politique du multiculturalisme. "Aux yeux de Grindel et de ses soutiens, je suis Allemand quand nous gagnons, mais je suis un immigrant quand nous perdons", a accusé le joueur aux 23 buts en 92 sélections. Ni ses coéquipiers, ni l'entraîneur Joachim Löw, ni la fédération n'ont réagi dans l'immédiat. Certains journaux et politiques, tout en critiquant la virulence de sa démarche, relèvent que le racisme est un problème dans le pays et que ce coup d'éclat est donc loin d'être anecdotique. Car c'est un symbole de l'intégration qui part, à l'heure où l'extrême droite connaît un essor sans précédent depuis 1945 avec le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD). Katarina Barley, la ministre allemande de la Justice, a estimé qu'il s'agissait "d'un signal d'alarme lorsqu'un grand joueur de foot allemand comme Mesut Özil ne se sent plus représenté dans son pays à cause du racisme". Le quotidien berlinois Tagesspiegel dénonce lui "l'ambiance populiste dans le pays. Le départ de Mesut Özil est une césure sportive, politique et sociétale. C'est plus que l'avenir du 11 national qui est en jeu". Le président de la communauté turque d'Allemagne, Gökay Sofuoglu, a jugé que "la diversité" de la Mannschaft était menacée alors qu'elle était jusqu'ici un "modèle". Mais le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas a estimé à l'inverse qu'un "multimillionnaire vivant en Angleterre" ne disait rien des "capacités d'intégration de l'Allemagne". Le joueur qui n'a jamais caché sa foi musulmane est déjà depuis deux ans la cible favorite de l'AfD. Une cheffe de ce parti, Alice Weidel, a donc estimé lundi qu'Özil était "un exemple typique de l'échec de l'intégration des gens venant du monde turco-islamique". Lorsqu'il a été cloué au pilori pour sa rencontre de mai avec le président turc, Mesut Özil s'est fait discret. Dans son courrier de dimanche, le joueur explique que cette rencontre n'avait rien de politique et ne remettait pas en cause sa germanité mais qu'elle reflète un héritage et un attachement à la Turquie. "J'ai deux cœurs, un allemand et un turc", dit-il.