Si les travaux d'élargissement de la RN43 sont nécessaires maintenant que la circulation automobile est devenue dense, il n'en demeure pas moins que cette opération s'effectue au détriment de la nature, en portant préjudice à ce site unique au monde classé réserve de biosphère par l'Unesco. Le wali rassure en évoquant une opération de nettoiement et d'un vaste programme de reboisement. Les experts affirment, cependant, que la végétation locale est irremplaçable. “Faites attention à la nature, préservez-là.” Cette phrase émane de la bouche même du président de la république lors de son dernier déplacement à Jijel. Ici, aussi bien les citoyens que les responsables locaux en gardent le souvenir. Une recommandation qui ne semble pas être prise au sérieux, compte tenu de ce qui se passe sur la corniche jijelienne où des travaux pour l'élargissement de la route s'effectuent sans précaution pour la préservation de la végétation locale exceptionnelle. L'association Aftis-Avenir monte au créneau Les déblais sont jetés sans mesure de précaution sur le bas-côté vers la mer, recouvrant ainsi une végétation résistante aux embruns marins, dont l'importance est primordiale pour l'écosystème local. Les pitons rocheux que l'on retrouve sur la corniche sont systématiquement rasés, même lorsqu'ils ne gênent en rien la route. Outre l'aspect original et attachant que ces promontoires rocheux donnent à cette région, ils participent, comme la végétation en contrebas, à l'équilibre naturel de cette zone. La forêt de chênes ne pourrait, en aucun cas, survivre si près de la mer et de ses agressions salées si elle n'était pas protégée des embruns par une barrière de végétation résistante, située en contrebas de la route, qui assure une barrière naturelle efficace jusqu'au triple de sa propre hauteur. Cette barrière est l'assurance-vie du couvert végétal supérieur. Dans certains couloirs de vent, les promontoires rocheux sont des barrières infranchissables permettant le développement de poches boisées originales et fragiles, donnant toute sa beauté à la corniche. Ces zones sont l'habitat de nombres d'espèces animales protégées, dont la plus caractéristique est, sans doute, le singe magot, leur donnant tous les aspects d'un écosystème exceptionnel. La poursuite des travaux de l'élargissement de la RN43, dans les mêmes conditions, entraînera la destruction du couvert végétal sur une bande bien plus large que celle recouverte par les déblais et donnera à cette région une image de désolation rappelant la désertification. Les entreprises chargées des travaux sont sommées de rendre les choses en l'état. Longtemps marginalisée, Jijel a besoin de se réveiller de sa léthargie. Les séquelles du terrorisme, qui a sévi durant une décennie, se ressentent encore. L'élargissement de la route s'avère une nécessité, selon ses initiateurs, surtout qu'elle n'a connu aucune modification depuis l'époque coloniale. Le port de Djendjen tourne à 20% de ses capacités réelles par manque d'infrastructures routières adéquates. La population de Jijel est la première à applaudir ce regain qui tardait à venir. Le nouveau wali entend bien déterrer les projets qui sommeillent dans les tiroirs et prendre le taureau par les cornes pour mener à terme le développement local. Mais, le wali a hérité d'un passif pas facile à gérer, raison pour laquelle tout choix à prendre au futur devrait être judicieux et mûrement réfléchi pour éviter les erreurs du passé. Massacre de la végétation ? Le wali ne voit pas les choses sous cet angle. Il préfère parler de chantier où les travaux peuvent parfois engendrer des dégâts. “Les travaux sur la RN43 sont nécessaires et inévitables, mais j'ai personnellement sommé les entreprises chargées des travaux de rendre les choses en l'état à la fin de leur mission”, a-t-il insisté. Or, Il se trouve que lorsque les gravats sont déversés, les arbres sont déracinés et les dégâts sont irréversibles. Même la pure terre n'est d'aucune utilité. Que peut-elle signifier la remise en l'état ? Le wali rassure en évoquant une opération de nettoiement et d'un vaste programme de reboisement. “Je suis moi-même amoureux de la nature et soucieux de sa préservation, pour preuve j'ai inscrit au programme la réalisation d'un parc animalier avec des lâchers d'animaux et de volatiles. J'ai aussi donné des directives strictes pour la préservation des tunnels, quitte à dépenser plus d'argent. Il est prévu, par ailleurs, 120 milliards de centimes pour la réalisation d'un tunnel et d'un viaduc du côté des grottes à Ziama”, a-t-il expliqué, précisant que des rectificatifs ont été apportés à l'ancienne étude faite concernant l'élargissement de la RN43, sans quoi les dégâts auraient pu être considérables. De leur côté, les directeurs des travaux publics et de l'environnement ne semblent pas s'inquiéter et soutiennent que les travaux en cours ne constituent aucune atteinte à l'environnement. Ils n'ont pas non plus réagi lorsque les beaux platanes, qui rayonnaient à l'entrée de la ville depuis fort longtemps, ont été purement et simplement abattus, sous le regard impuissant de la population. Le directeur du parc de Taza et le conservateur des forêts : “Nous allons procéder au reboisement” Censés être les premiers garants de la préservation des richesses naturelles de la région, le conservateur des forêts et le directeur du parc de Taza n'ont montré aucune inquiétude. La solution pour M. Ouetar, conservateur des forêts, est toute simple : il suffit de reboiser. M. Laboudh, directeur du parc de Taza, quant à lui, s'est dit non concerné. Les 5 km qui font partie du projet ne font l'objet, selon ses propres déclarations, d'aucune agression. “Nous ne pouvons nous opposer à un tel projet d'utilité publique”, a-t-il avancé comme argument, sans se soucier que la perturbation de cette partie du littoral peut influer négativement sur tout l'ordre naturel environnant. À noter que tout au long de notre séjour, cette semaine, dans la région, lors de nos passages par la RN43 où se déroulent les travaux, nous avons remarqué la présence de véhicules des postes et télécommunications. Un service qui veille, sans nul doute, à ce que les fils de fibre optique ne soient pas touchés. Mais à aucun moment, nous n'avons aperçu de véhicules des services des forêts. “Le reboisement est impraticable La végétation locale est irremplaçable” Saccager une végétation et déraciner des arbres qui ont mis des décennies, voire un siècle, à se stabiliser est parfois impossible à réaliser. Le Dr Hassen Abdelkrim, professeur à l'Institut national d'agronomie (INA) d'El-Harrach, spécialiste en écologie des communautés végétales (département botanique) est catégorique : “Le reboisement dans ce cas précis n'est pas possible.” Il explique en substance qu'il s'agit là d'espèces naturelles spécifiques aux caractéristiques de la région. “Nous ne pouvons reboiser qu'avec ce que nous possédons dans nos pépinières et cela ne résistera pas aux embruns marins. Nous n'avons pas la maîtrise technique pour remplacer ce qui existe actuellement. Les espèces sont rares et ont mis longtemps à se stabiliser. Le plus indiqué aurait été d'éviter tout déversement comme cela s'est passé pour les travaux menés dans les gorges de Lakhdaria (Bouira) où aucune terre n'a été déversée dans l'oued”, a-t-il insisté, soutenant qu'il existait bien des solutions et que l'étude d'impact sur l'environnement devrait s'imposer dans tout projet à entreprendre. “Le laurier rose, le figuier (racines profondes qui protègent les talus) dont les rameaux constituent des brise-vent, les palmiers et autres espèces tels que le chêne zen et le chêne Afares ne sont pas là par hasard. Ils constituent une protection naturelle infaillible. Les nouveaux travaux qui ne tiennent pas compte de l'ordre naturel peuvent être menacés aux premières fortes pluies vu que la terre n'est pas stabilisée. Même les nouvelles réalisations peuvent être endommagées”, a-t-il averti. Potentialités touristiques : un trésor méconnu De nombreuses plages et criques, îles et îlots, caps et falaises, grottes et gouffres se succèdent dans un cadre verdoyant. Jijel est unique, le parc de Taza avec sa faune et sa flore très diversifiées, la réserve naturelle ornithologique de Beni Belaïd, les forêts riches et denses offrent de sublimes vues panoramiques. Les vestiges et autres monuments historiques qui ont marqué la région (sites phéniciens à Rabla, ruines romaines de Settara et Ziama Mansouriah, sites historiques de Taza et Mezghitane…) et 19 zones d'expansion touristique dont 6 ont déjà fait l'objet d'études, de viabilisation et d'aménagement. Des ressources en substances utiles présentent une multitude d'indices et de gisements propices à la mise en valeur dans le domaine des mines et matériaux de construction et une façade maritime de 120 km. Les Grottes merveilleuses sont à 35 km à l'ouest du chef-lieu de wilaya, sur la RN43, et font partie du territoire de la commune de Ziama Mansouriah. L'architecture interne des grottes et les paysages environnants sont d'une rare splendeur. Jijel n'a pourtant pas livré tous ses secrets ni révélé toute sa beauté. Les travaux sur la RN43 ont permis la découverte d'une nouvelle grotte, encore un atout touristique. N. S.