Hadj Abderrahmane a incarné les valeurs de la société algérienne qu'il n'a pas cessé de disséquer pour en montrer les multiples visages de la candeur à la méchanceté, de la vertu au vice, de la morosité à la joie de vivre. À ce jour, au théâtre comme à la télévision, de jeunes amateurs montent des sketches évoquant le personnage de l'Inspecteur Tahar à l'humour aussi hilarant qu'acéré. Pendant plus d'une dizaine d'années, entre 1967 et 1978, Hadj Abderrahmane et Yahia Benmabrouk, alias l'Inspecteur Tahar et l'Apprenti, marqueront de leur empreinte le cinéma algérien. En créant et incarnant ces personnages, les deux comparses étaient loin de se douter de l'immense succès qui les attendait. À mi-chemin entre polards et satyres sociales, les films de l'Inspecteur Tahar dérident le spectateur tout en l'invitant à réfléchir aux problèmes de la société. L'humour corrosif de l'Inspecteur dérange bien-pensance qui s'incline cependant devant la détente que procurent incontestablement ses œuvres. Le succès fulgurant encourage le duo à persévérer dans son style qui emballe le spectateur algérien. Ainsi, la série de films inaugurée par L'Inspecteur mène l'enquête, réalisé en 1967 par Moussa Haddad, se poursuivra avec La Souris en 1968, La Poursuite infernale, la même année, L'Auberge du pendu (1971), L'inspecteur marque le but (de Kaddour Brahim Zakaria, 1977) et Le Chat, l'année suivante. Mais le film-culte du duo Hadj Abderrahmane et Yahia Benmabrouk demeure sans conteste Les Vacances de l'Inspecteur Tahar, réalisé en 1973 par Moussa Haddad. Auteur du scénario du film, Hadj Abderrahmane y étalera son grand talent, alliant l'aisance (qui reflète sa maîtrise du rôle) à la rigueur qu'exigeait le film caractérisé par un rythme effréné. Entre Alger et Tunis, l'Inspecteur mène une enquête sur un meurtre dans un hôtel, avant de retrouver Oum Traki en Tunisie. C'est l'occasion de montrer les multiples facettes de deux pays qui ont beaucoup de similitudes. Même sérieux, l'Inspecteur a le don de faire rire par ses attitudes atypiques, son regard malicieux et son inimitable accent. Avant d'arriver au cinéma, Hadj Abderrahmane avait rejoint la RTA au lendemain de l'indépendance comme opérateur technique et cameraman. Il s'initie ensuite au théâtre sous la direction de Allal El-Mouhib et joue dans plusieurs pièces comme Monserrat, d'Emmanuel Roblès, ou Les fusils de la mère Carare. C'est en tandem avec Yahia Benmabrouk, issu du TNA, qu'il se lancera dans le cinéma à partir de 1967, avec le succès qu'on lui connaît. À propos de l'accent particulier qui a fait sa célébrité (à ce jour on utilise encore les expressions de l'Inspecteur même comme sonnerie de smartphone), il remonterait aux origines de Hadj Abderrahmane, natif d'Alger en 1940 et dont la famille trouve sa source dans la ville de Taher, dans la wilaya de Jijel. Au-delà de quelques polémiques, certainement étrangères à l'esprit de l'artiste, on sent chez Hadj Abderrahmane de la sympathie à l'égard des habitants de l'Algérie profonde, dont il incarnait un certain regard sur la vie. Enfant du peuple (il a vécu dans le quartier populaire d'El-Harrach), il a incarné les valeurs de la société algérienne qu'il n'a pas cessé de disséquer pour en montrer les multiples visages, de la candeur à la méchanceté, de la vertu au vice, de la morosité à la joie de vivre. Celui que certains considèrent comme l'héritier de Rachid Ksentini et de Mohamed Touri s'éteindra à Paris le 5 octobre 1981 à l'âge de 41 ans. La mort arrêta net l'inspiration prolifique et l'élan prometteur d'un artiste dont l'authenticité et le talent séduisent aujourd'hui encore de nombreux fans. ALI BEDRICI