Il a été journaliste très longtemps à Afrique-Asie, Révolution africaine, et dans beaucoup d'autres publications en Algérie et en France. Il a troqué son stylo pour une caméra. Cela lui a réussi. Il filme notre mal et ça fait du bien. Liberté : L'Algérie s'est embrasée à l'heure où tu étais Parisien. Emigré. Comment as-tu supporté ? Saïd Ould-Khelifa : Avec l'amplification de la distance, de l'éloignement, les choses me sont parvenues avec fracas et, surtout, un sentiment d'impuissance. Pendant cette période, j'ai réagi dans le théâtre avec les Deux rives, un voyage entre Camus et Yacine. Dans leurs textes, ces deux hommes ont tout dit de ce que vivait l'Algérie à cette heure. Kateb a parlé de son enterrement avant sa mort : “Donnez mon corps aux chiens…” Pourquoi être passé de l'écriture à l'image ? Parce qu'ici, en France, on ne te voit que comme journaliste “algérien”. Je ne pourrais plus écrire sur l'Algérie. Je peux tout faire, tout dire sur le reste du monde dans des reportages écrits mais, l'Algérie, je la vois en images. On m'a muté. À des périodes difficiles, je peux reprendre le journalisme. Par solidarité avec les miens, sinon je suis résolument et définitivement passé à une autre forme d'expression : je suis cinéaste. L'image peut toucher d'autres pans de la société que l'écrit ne peut pas atteindre. Vous avez eu des difficultés pour monter financièrement le Thé d'Ania… Bien entendu. Par exemple, les assurances ont catégoriquement refusé de marcher si on ne tournait pas au Maroc ou en Tunisie, supposés plus sûrs. Pour moi, il n'en était pas question. J'ai finalement été aidé par le système français d'avance sur recettes, l'Entv, le ministère de la Culture et l'Année de l'Algérie en France. Le film raconte une grosse histoire avec très peu de personnages… Faut-il une foule pour mettre en scène le syndrome de la peur ? Pour raconter comment on est revenu de si loin ? Je raconte l'histoire d'un reclus. La hantise du fascisme… Mon personnage habite un très grand appartement, mais il y occupe un tout petit espace. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Vos films Ombre blanche, et aujourd'hui, le Thé d'Ania, vous ramènent en Algérie. Vous habitez, cependant, ailleurs. L'exil… On n'est pas exilé. On est isolé. L'Algérie, c'est ma jeunesse, et même si j'y est perdu quelques repères, j'y reviens tout le temps. Ah, les Aurès ! Je ne peux pas être Français malgré toute l'admiration que j'ai pour la culture de ce pays. Être Algérien est un métier qu'il faut défendre tous les jours ! M. O.