Malgré son hospitalisation à Paris, René Vautier a reçu un hommage marqué. M'hamed Yazid disait à propos de René Vautier : « Il est un moment de notre histoire. Il était le premier français à mettre sa caméra à nos côtés, au service de la réalité de la guerre d'Algérie, le premier à essayer de refléter en images les raisons de la lutte du peuple algérien ». Ce fils d'ouvrier, dont la mère était institutrice à Camaret-sur-Mer dans le Finistère, vient de fêter seul, sur un lit d'hôpital parisien, son quatre-vingtième anniversaire. La direction de la culture de Tébessa, qui a organisé ces premières Journées cinématographiques a vainement espéré sa présence. Les Tébessis auraient tellement voulu le voir arpenter les ruelles de l'antique Tevest, ville qu'il chérit par-dessus tout. Ils auraient voulu l'entendre parler de la révolution et du cinéma (thème des rencontres). Heureusement, grâce à la magie de l'image, René Vautier a fait le déplacement. Ahcène Osmani a rendu possible sa présence à l'écran à travers l'excellent documentaire qu'il lui a consacré, Premier Prix de la tolérance décerné par l'Unesco au Festival Vues d'Afrique 99de Montréal. Tébessa a tenu à honorer le combattant donné trois fois pour mort, longtemps embastillé, censuré, véritable martyr de la liberté d'expression. L'homme à la longue crinière blanche, considéré comme l'un des pères fondateurs du cinéma algérien, est toujours resté fidèle à ses engagements. Grand prix de la télévision pour l'ensemble de son œuvre par la SCAM (1998), l'infatigable militant celte, surnommé Farid durant la lutte de libération nationale, avait fini par accepter de passer de l'autre côté de la caméra grâce à Osmani. Entré en résistance dès l'âge de 15 ans, décoré de la Croix de guerre par le général De Gaulle, à l'age de 16 ans, le « petit Breton à la caméra rouge » a vécu toute sa vie, tel un héros de Malraux, n'éprouvant sa condition humaine que dans l'action au bout de laquelle il rejoint sa destinée. Son courage l'a projeté au devant de ce qui allait le révéler à lui-même et aux autres. C'est par sa témérité, son intelligence et la subtilité de son émotion, qu'il se consacra entier à son devoir de cinéaste. « J'ai passé toute ma vie à faire du cinéma dans un secteur que j'avais choisi, celui où l'on ne risquait pas beaucoup de concurrence », a-t-il dit avec humour, lui qui a fait débuter Claudia Cardinale et Jean-Paul Belmondo au cinéma. Ses films, pour la plupart interdits de diffusion à la télévision, ont été distingués, dont Afrique 50, prix du meilleur documentaire mondial des jeunes, cité pour le jury du prix Louis Lumière parmi les trois meilleurs court-métrage de l'année. Très longtemps interdit en France, le film fut finalement récupéré, un demi-siècle plus tard, par le Ministère des Affaires étrangères, comme témoignage du sentiment anticolonialiste de la France ! La consécration arrive avec Avoir 20 ans dans les Aurès distingué à Cannes (1972). Suivront d'autres distinctions et récompenses et des hommages de jurys internationaux. Pour lui, « être cinéaste, c'est mettre l'image et le son à la disposition des gens à qui les pouvoirs constitués les refusent ». Cette position lui vaudra rapidement les foudres des autorités. Il sera harcelé, menacé physiquement. Le local qui abritait ses films fut saccagé et ses copies détruites à la hache, puis arrosées au mazout. Pour avoir déclaré, dès 1954, que l'Algérie ne pouvait qu'être indépendante, René Vautier a été poursuivi pour atteinte à la sûreté de l'Etat par les milices de François Mitterrand. Après avoir filmé, les grèves en France, l'Afrique colonisée et la Tunisie sous le protectorat, c'est vers les Aurès-Nementchas qu'il tournera dès 1956 sa caméra. Son premier film Algérie en flammes réalisé en 1957 avec l'aval d'Abane Ramdane et tiré à 800 copies et en 17 langues, constitue le premier grand témoignage de la lutte contre la colonisation. Recherché en France, considéré comme mort, il se retrouve en fait mis au secret durant vingt-cinq mois dans les geôles du GPRA à Tunis, suspecté d'être un agent de la France. Sorti avec les honneurs de la prison, il ne gardera aucune rancœur. Il poursuivra au contraire ses activités. Après l'indépendance, il s'investira dans la mise en place des ciné-pops, pour mettre à la disposition des jeunes ses connaissances cinématographiques. Il dirigera la réalisation de plusieurs films dont « Peuple en marche » et participera à l'écriture du scénario des « Damnés de la terre » de Franz Fanon. On gardera longtemps en mémoire sa grève de la faim de 31 jours contre la censure en France de son film J'ai huit ans (avec Yan Le Masson) et Octobre 1961 de Jacques Panigel. Soixante-cinq années consacrées au service des grandes causes, caméra au poing. Sa vie a été merveilleusement montrée et honorée aux journées cinématographiques de Tébessa achevées hier, en présence du wali, de la directrice du développement et de la promotion des arts et du directeur du Centre national du cinéma. Prompt rétablissement à « L'homme de paix » et longue vie aux Journées de Tébessa, où comme partout en Algérie, on aime encore le cinéma.