Autant pour le corps médical que les patients, se rendre à l'hôpital est une épreuve difficile. Des médecins de rang magistral égrènent les contraintes comme les grains d'un chapelet, confirmant que notre système de santé est déliquescent. Au pavillon des urgences du CHU Mustapha, à la fin du mois de septembre, deux salles d'attente en enfilade grouillent de monde. Des personnes sont assises sur des bancs en acier, d'autres sont debout dans un charivari de cris, de discussions à haute voix, de gémissements et dans un incessant va-et-vient de médecins, d'éléments de la Protection civile et d'agents de sécurité. Devant les box de consultation, l'attente est longue. Une femme d'âge mûr s'engouffre à l'intérieur d'un box sans se préoccuper de ceux qui qui attendent. Elle est aussitôt suivie par une jeune femme. "Vous devriez attendre votre tour", lui assène-t-elle. "Je veux juste avoir un renseignement", répond la quinquagénaire. Une altercation verbale éclate entre les deux patientes. Devant la salle de radiologie, une vingtaine de personnes s'agglutine. "Donnez-moi vos tickets, je vous appellerai dans l'ordre d'arrivée", crie un infirmier qui fait barrage devant le seuil du cabinet. Un vieil homme sur un brancard se tord de douleur. Il souffre d'une fracture. Son accompagnateur tente de le faire passer en priorité. Il n'y parvient pas. Selon des médecins que nous avons rencontrés dans l'enceinte de l'hôpital, la situation aux urgences médico-chirurgicales est devenue intenable depuis que sa surface a été considérablement réduite, au mois de mai dernier. Les activités du pavillon des urgences, toutes spécialités confondues, s'étalaient sur approximativement 2 000 m2. Son accès est confiné à 150 m2 environ. "L'objectif est de diminuer les dépenses et d'inciter les malades à aller ailleurs. D'autant que les urgences fonctionnent pratiquement avec des médecins généralistes", nous dit-on. La semaine dernière, une vidéo montrant une femme assénant un coup à la tête d'un médecin à l'intérieur d'un service hospitalier a fait le buzz sur les réseaux sociaux. La longue attente, le ballottage d'un service à l'autre, une prise en charge aléatoire, des moyens basiques en rupture, des locaux inadaptés, l'hygiène des lieux laissant à désirer… "Nous avons failli parce que nous n'avons pas mis le malade au centre du système de santé", assène le professeur Brouri, interniste. Pour le corps médical, il devient de plus en plus compliqué d'exercer dans les structures sanitaires publiques. Pour les malades et leurs familles, se rendre à l'hôpital pour des soins est une véritable épreuve. Des médecins au rang de professeur, que nous avons rencontrés, égrènent les contraintes comme les grains d'un chapelet. Des hôpitaux ont été construits, certes depuis l'indépendance, mais sur un modèle aussi dépassé que la conception pavillonnaire des centres hospitalo-universitaires hérités de l'époque coloniale. Ils ne sont pas fonctionnels. Le déficit en lits d'hospitalisation est énorme. Certaines spécialités, telle l'ophtalmologie, disparaissent des hôpitaux car elles n'ont pas suivi les progrès de la médecine. Les praticiens sont mal payés. Les départs vers le secteur libéral ou à l'étranger sont massifs. Nos interlocuteurs évoquent la démission, cet été, de 42 médecins de l'hôpital de Tizi Ouzou. Six maîtres-assistants ont quitté le service d'ophtalmologie du CHU de Beni-Messous et une dizaine au service de chirurgie thoracique. Le conseil de l'Ordre des médecins français a indiqué, dans un rapport publié en octobre 2017, que 4 800 médecins diplômés en Algérie exercent dans des hôpitaux en France. C'est édifiant. Pendant les longs mois de grève qu'ils ont observée, les médecins résidents ont lancé le hashtag #BalanceTonHosto. Le résultat est édifiant. Des dizaines de photos et de vidéos publiées ont montré des services d'hôpitaux dans diverses régions du pays et particulièrement la capitale, dans un état affligeant. Aucune incidence sur les administrateurs du secteur, inamovibles à leurs postes de responsabilité. Et pourtant, pour bon nombre de praticiens, au rang magistral, le secteur ne saurait se relever sans une politique de santé éclairée et prospective. La loi sanitaire, adoptée récemment, préserve le principe de la gratuité des soins. Il est illusoire, toutefois, de miser encore pour longtemps sur la pérennité du secteur public, au moment où les structures privées se développent rapidement, estiment nos interlocuteurs. "Je vais peut-être choquer, mais continuer à dire que la médecine doit rester totalement gratuite est une utopie. En Europe, les dépenses de santé atteignent 5 000 euros par personne. En Algérie, elles sont de l'ordre de 300 dollars. Nous voulons des soins à l'image de ce qui se fait en Europe, mais nous n'en avons pas les moyens", affirme le professeur Haddoum, néphrologue. Il suggère de mettre en partenariat les secteurs public et privé au lieu d'entretenir la concurrence. Souhila Hammadi