Tandis que l'homme, la quarantaine bien consommée, un “beggar”, comme on dit dans le langage populaire pour désigner cette caste d'Algériens parvenus, amateurs des délices de Capoue, racontait dans son accent de “province” “sa fierté”, alors qu'il était déjà dans les vignes du seigneur, plusieurs anonymes restaient attablés à discuter de tout et de rien. Au fond de la salle, sous une lumière tamisée, un décor caractéristique de tous les cabarets, les bars et les boîtes de nuit, un jeune garçon entouré de trois jeunes filles s'égarait, autour de quelques verres de bière, dans des discussions qui semblaient interminables. “Vos papiers !” demande l'officier de gendarmerie de la brigade de Zéralda. “Non, je ne donne pas !” répond la première, un tantinet irritée par ce qui lui semblait être une inquisition. “Je suis journaliste et je connais le métier”, explique-t-elle lorsque d'un coup d'œil elle constata autour d'elle presque une dizaine de gendarmes qu'accompagnaient des hommes, carnets et stylos à la main. Face à son entêtement, on l'invita alors dans un lieu discret, histoire de ne pas déranger la quiétude des autres clients, mais aussi pour bien vérifier la véracité de ses propos. Alors qu'on pensait l'incident clos, voilà que sa “comparse”, affairée à fouiller dans son sac dans l'espoir de trouver sa carte nationale d'identité, s'emporte et assène à la cantonade. “Ne me photographiez pas, je suis une fille de bonne famille !” peste-t-elle lorsque elle entendit le crépitement du flash. Dans ce bar appelé La Terrasse, dans le complexe touristique de Zéralda, sur la côte ouest d'Alger, on n'était pas habitués jusque-là à ces visites impromptues des gendarmes. On y passait des moments, semble-t-il, agréables : l'alcool y coulait à flots, on “négociait” avec les femmes et on faisait des affaires. Un peu comme dans tous les bars d'Algérie. Mais ce jeudi 2 juin a comme bousculé les habitudes établies. Le groupement de la gendarmerie nationale d'Alger, épaulé de quelques éléments de la brigade de gendarmerie de Zéralda, à l'approche de la saison estivale, et histoire sans doute de “s'ouvrir” à la société, mais également de faire sentir, à tous ces pourfendeurs, la présence de l'état, a organisé une opération de police dans le cadre de ce qui est qualifié de “lutte contre l'incitation de mineurs à la débauche, le trafic et l'usage de stupéfiants et le port d'armes blanches”. “C'est un travail de la police administrative et ce sont des visites de routine. On doit connaître les gens qui rôdent ici pour bien maîtriser le secteur”, explique un officier de la brigade de Zéralda. Trêve du bar La Terrasse, direction la discothèque Tanit. Dans un décor à l'orientale, un peu à la manière de la caverne d'Ali Baba que seules quelques lumières permettaient d'en distinguer les silhouettes, aux assourdissantes sonorités raï, une foule de gens s'exaltait aux humeurs du vin, tandis que les autres se déhanchaient sur la piste de danse. Dès l'irruption des gendarmes, un silence s'installa. Sur beaucoup de visages on semblait comme s'interroger sur cette visite nocturne. En un coup d'œil, les gendarmes ont repéré deux jeunes filles, jeans moulants, maquillées comme une toile trompée à l'aquarelle, sont conduites à l'extérieur. “Elles n'ont pas de papiers !” explique l'officier. “Mais comment savez-vous qu'elles n'ont pas encore atteint la majorité ?” l'interrogeons-nous. “Des fois, on se base sur le flair”, se contente de répondre ce responsable. Fausse alerte puisque finalement les filles en question sont majeures. Mais Il n'y a pas qu'à Zéralda où on redoute la prolifération de certains fléaux dans les cabarets. Les jeudis de “l'angoisse algérienne” à Palm Beach, dont seule l'appellation évoque la ville américaine, ou encore à Azur-Plage, certains cabarets ont la cote. Miami est de ceux-là. Plein comme un œuf pour le “jeudi de l'angoisse algérienne”, il ne désemplit pas même pendant les jours de semaine, selon l'un des habitués des lieux. Même s'il faut débourser la coquette somme de 1 000 DA pour entrer, il attire la clientèle comme un aimant. Et à cette heure tardive de la nuit, aux alentours de minuit trente, il affiche complet. Il faut dire que le coin est suggestif pour les amateurs de Bacchus et de la bonne chère. Comme pour les haltes précédentes, l'irruption des hommes “en vert” semblait tomber comme un “cheveu dans la soupe”. On percevait même quelques signes d'inquiétude chez certains. Pour preuve, ce client, éméché, sommé par le responsable de l'établissement de rechausser ses souliers. Autre indice : l'attroupement de curieux devant l'entrée, visiblement non habitués à ces “descentes nocturnes”. Pourtant, aucune infraction n'a été constatée. Le propriétaire dispose de toutes les autorisations : commerce de boissons alcoolisées et hôtellerie. Mieux, ici on se prévaut d'avoir l'établissement le plus prisé du coin. Mais à vrai dire, cette “fierté” est une manière de narguer le “concurrent d'en face”. Appelé Sultan club, l'établissement inauguré par l'ex-ministre Mohamed Seghir Kara a bonne presse. Son patron est tout fier puisque sa clientèle est constituée même d'étrangers. “On y vient même en famille”, se plaît-il à répéter. Est-ce qu'il y a des problèmes ? “Il faut voir peut-être en face”, ironise-t-il. Il raconte que beaucoup de gens se sont plaints de son voisin, en vain. Comme toujours, RAS. Seul point sombre : l'entrée des “visiteurs” a indisposé certains clients, lesquels n'ont pas trouvé mieux que de quitter les lieux. Autres endroits, même constat : que ce soit au Cabaret Nouba, à Hammamet, à la résidence Rose Bleue ou à Palm Beach, un établissement très élégant où la bonne tenue est exigée, les gens y boivent et dansent. Seulement. Même El-Mordjane, à Staoueli, qui a déjà fait parler de lui il y a quelques années en raison des bagarres fréquentes qui eurent lieu, a retrouvé des couleurs. Si elle a suscité quelques regards interrogatifs, la présence de la gendarmerie n'a pas pour autant réussi à mettre le grappin sur de prétendues mineures “débauchées” ou encore sur quelques trafiquants de stupéfiants. Bref, pour ce jeudi la “moisson” a été pauvre… K. K.