Les rentes héritées et amplifiées après l'indépendance des pays maghrébins sont toujours là. Elles constituent un frein et une distorsion dans ce long cheminement de nos économies vers un état de compétitivité qui autorise une ouverture sereine des frontières intra-maghrébines. Liberté : Quelles sont les raisons de l'échec du projet de construction économique maghrébine ? M. Hassan Abou Youb : Je pense qu'il y a trois raisons principales pour l'échec du processus de construction d'une union économique maghrébine. Premièrement, les politiques économiques nationales et l'état des économies maghrébines n'étaient pas préparés pour un exercice de fusion dans un marché qui ressemblerait au marché unique européen. Dans ce contexte, il y a le problème lié aux politiques des salaires, l'indice des prix à la consommation et le prix de l'énergie ou d'une manière générale la conduite de l'offre des produits non échangeables par secteur étatique public des cinq pays du Maghreb. Ces conditions étant par définition contradictoires et pas convergentes. Deuxièmement, il y a certainement un déficit de conscience des opérateurs économiques maghrébins par rapport au projet maghrébin d'intégration économique et d'une manière générale un manque de dynamisme qui est lui-même freiné par des considérations psychologiques sur la fiabilité de l'environnement de l'investissement. Cette situation explique la faible performance des entreprises maghrébines et des investisseurs en termes d'investissement dans leur propre environnement comparé aux besoins d'investissement qui sont justifiés par les déficits sociaux dans les pays maghrébins. Donc, ces déficits ne sont pas compensés suffisamment par les capitaux étrangers qui restent en deçà de ce que nos ambitions nous permettraient d'entrevoir. Ce problème de la conscience est fondamental, et pour le traiter, il est essentiel d'associer l'entreprise maghrébine au processus d'intégration et le construire d'une manière approfondie, régulière et de faire en sorte qu'elle s'approprie le projet maghrébin. Idem pour l'opinion publique où les déficiences répétées et accumulées font qu'on ne donne pas beaucoup de crédit au projet de construction maghrébine. Autrement dit, on croit au Maghreb en tant qu'objectif idéal, malheureusement pas au point où on y voit une porte de sortie par rapport aux problèmes quotidiens dont souffrent les Maghrébins. Troisièmement, les séquelles de l'économie coloniale n'ont pas été totalement effacées. Les rentes héritées et amplifiées après l'indépendance des pays maghrébins sont toujours là. Elles constituent un frein et une distorsion dans ce long cheminement de nos économies vers un état de compétitivité qui autorise une ouverture sereine des frontières intra-maghrébines. Compte tenu de l'expérience cumulée depuis le début des négociations du projet de construction maghrébine, je crois qu'on peut adopter une démarche moins ostentatoire, moins de fuite en avant et plus ciblée sur les réalités et problèmes pour qu'on puisse les résoudre. La batterie de textes législatifs et réglementaires que vous avez préparés en 1989 est-elle encore d'actualité ? Entre 1989 et aujourd'hui, le monde a considérablement changé. La donne économique exprimée par les avantages compétitifs des régions du monde a évolué considérablement. Depuis 1989, le Maghreb a perdu beaucoup dans ces attributs compétitifs par rapport à des régions comme l'Amérique latine, l'Asie et l'Europe centrale... Donc, la méthodologie des concepts qui avait prévalu lorsque nous négocions le cadre économique maghrébin doit être revue pour tenir compte du retard pris et de la difficulté à accélérer le rythme de rattrapage de nos économies respectives générées des standards mondiaux. En termes d'actions économiques, les instruments à mettre en œuvre seront beaucoup plus nombreux et variés que ce qu'on pouvait imaginer entre 1989, 1992 et 1993. Nos accords d'association avec l'Union européenne créent des distorsions encore plus compliquées dans la mesure où le désarmement tarifaire et non tarifaire de l'ensemble des produits sera effectif au moment où le projet maghrébin — si le projet maghrébin aura été conçu d'ici là — est lancé, c'est-à-dire notre commerce sera Nord-Sud après avoir été traité Sud-Sud. Quelles sont les solutions préconisées pour relancer le projet d'intégration économique maghrébine ? Notre atout serait de partager les mêmes contraintes. Autrement dit, nos atouts sont de pouvoir affronter les contraintes en termes d'accélération du niveau de la croissance économique de 2 à 3 points en moyenne par an afin de créer des emplois absolument vitaux pour affronter la masse humaine des chômeurs dans notre espace rural et urbain maghrébin. Donc, nous avons l'ardente obligation de gérer ces contraintes d'une manière connective parce qu'il est démontré que les politiques nationales ne peuvent pas supporter les contraintes rencontrées sur les plans régional et international. Il est vital de mettre en commun nos capacités respectives dans une démarche raisonnable et progressive d'édification d'un espace où l'Etat de droit est garanti, la sécurité des transactions économiques est assuré et avoir la capacité d'attirer le capital européen qui pourra nous aider à rattraper le retard d'infrastructures et de superstructures publiques qui sont, aujourd'hui, des freins objectifs pour le développement de nos économies. Existe-t-il des synergies entre les pays du Maghreb pour relancer le processus de refondation économique ? Il y a d'abord les relations humaines que nous devons prendre en charge pour nous débarrasser de cette glace qui a fait que nous ne nous connaissons pas et ne communiquons pas, comme nous n'avons pas créé de réseaux de solidarité, de complicité et de partenariat. La synergie ne peut pas s'exprimer si nous n'atteignons pas une sérénité dans nos relations inter-humaines. La deuxième chose, la plus importante, nous n'avons pas atteint des niveaux d'autosuffisance technologique, voire même alimentaire qui générerait une situation définitivement compromise. Notre niveau de participation à la création de la valeur ajoutée par nos richesses nationales est malheureusement faible. Donc, on n'a pas construit une plate-forme de production industrielle. Nous avons tout à faire et inventer ensemble, notamment l'économie du savoir, les technologies de l'information et la formation universitaire. F. M.