Le retour de l'immigration parmi les priorités du gouvernement français est condamné par un certain nombre d'associations de défense des immigrés qui dénoncent une manœuvre électorale. Avec des précautions sémantiques, la droite au pouvoir en France commence à préciser sa politique sur le sujet de l'immigration qui cristallise les passions dans un contexte social difficile. La politique des “quotas” évitée jusque-là pour être suspecte de discrimination ethnique et raciale est à l'ordre du jour du gouvernement de Dominique de Villepin qui parle de “catégories” d'immigrés répondant à des besoins économiques comme cela se fait dans des pays comme le Canada ou la Grande-Bretagne. Par cette option, le gouvernement croit pouvoir résorber le manque de main-d'œuvre ou de cadres dans certains secteurs comme la médecine, tout en luttant contre l'immigration clandestine puisqu'il compte augmenter cette année de 50% le nombre d'expulsions. Avec Dominique de Villepin, qui a consacré l'essentiel de son discours de politique générale à décliner son “plan de lutte pour l'emploi”, le thème de l'immigration a très vite rejoint le devant de la scène avec, notamment l'installation du Comité interministériel de contrôle de l'immigration. M. De Villepin, qui avait décidé la création de ce comité lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, a demandé aux ministres concernés de formuler dans les prochaines semaines, “en liaison” avec le ministre de l'Intérieur, des propositions de lutte contre l'immigration clandestine et d'adaptation de l'immigration aux besoins de l'économie française. Auparavant, le numéro deux du gouvernement, Nicolas Sarkozy, avait dressé, devant les militants de son parti, l'UMP, les bases d'une politique de fermeté, affirmant qu'il ne voulait pas qu'il y ait “des sujets prétendument tabous dans la vie politique française”. Son secrétaire national chargé des associations issues de l'immigration, Abderahmane Dahmane, s'est prononcé pour la régularisation d'une partie des clandestins “qui ont besoin de notre compassion et de notre générosité”, a-t-il plaidé. M. Dahmane a suggéré, dans le cadre d'une immigration choisie et maîtrisée, que la priorité soit donnée aux ressortissants des anciennes colonies françaises, en Afrique et en Asie. Il a aussi souhaité que les descendants des anciens combattants contre l'Allemagne nazie puissent pouvoir circuler librement entre leur pays et la France. Le retour de l'immigration parmi les priorités gouvernementales est condamné par un certain nombre d'associations de défense des immigrés qui dénoncent une manœuvre électorale. “Derrière cette alternative déplorable (fixer chaque année le nombre d'immigrants catégorie par catégorie, ndlr) se profile un nouveau durcissement de la politique d'immigration dont les mobiles préélectoraux n'échappent à personne”, affirme la Ligue des droits de l'Homme, qui appelle “l'ensemble des forces politiques à ne pas faire de la question des migrations un enjeu de propagande pour les échéances de 2007”. “Ainsi se préparent de nouveaux 21 avril”, craint l'association, en référence à l'accession du président du Front national au second tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002. Des quotas qui divisent Pourtant, les associations ne sont pas unanimes sur la question des quotas. Dominique Sopo, président de SOS-Racisme, n'y voit pas de mal. “L'idée de mettre en place une procédure par catégorie, par quota, ne me choque absolument pas”, a dit M. Sopo, évoquant aussi bien les quotas par profession, “puisqu'on veut relancer l'immigration économique”, que ceux par pays, sinon “il y aura tendance à ne faire venir que des Blancs”. Sur la scène économique, plusieurs secteurs ne cachent pas leur intérêt pour des quotas d'immigration qui leur permettraient de satisfaire leurs besoins de main-d'œuvre, que ce soit dans des métiers peu qualifiés ou dans des professions plus pointues. Plusieurs professions, du bâtiment, de l'hôtellerie-restauration ou de l'agriculture avouent un besoin criant de main-d'œuvre et se montrent intéressées par une immigration “sélective” ou “ciblée”, à l'instar de la Fédération française du bâtiment (FFB), de la Capeb (artisans du bâtiment) ou de la FNSEA (agriculteurs). Certes, tous soulignent que cette mesure doit être envisagée après l'embauche des chômeurs en France, qui sont près de 2,5 millions, et auxquels la “priorité” doit être donnée. Mais dans le bâtiment, la FFB évoque 20 à 40 000 postes non pourvus cette année. Une étude de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) indique que “seulement la moitié” des 310 000 entreprises artisanales du bâtiment, “qui ont cherché à recruter, est effectivement parvenue à le faire”. Les difficultés de recrutement ont aussi augmenté parmi les cadres, notamment dans la santé (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens...), où 72% des personnes interrogées jugent ce recrutement difficile, l'hôtellerie-restauration (61%), et le BTP (53%), selon une étude du Centre de recherche et de l'observation des conditions de vie (Credoc). Il s'agirait “de répondre plus tôt, à un moment donné, à un besoin qu'on peut avoir, et pour lequel on n'a pas les populations correspondantes, ni le temps pour les former”, souligne Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE, en rappelant qu'il faut plus de trois ans pour former des infirmières. M. Timbeau estime aussi qu'une telle mesure “permet de stimuler la croissance et de créer d'autres emplois par ailleurs”. À la fédération des professionnels de l'informatique Syntec, le délégué général, Pierre Dellis, soutient la proposition de M. Sarkozy pour retenir les “talents” diplômés en France, susceptibles ensuite d'“accompagner les entreprises françaises à l'international”. Alors que le recours à la main-d'œuvre étrangère est monnaie courante parmi les saisonniers de l'agriculture, les syndicats des exploitants agricoles jugent intéressant de pouvoir “organiser mieux l'immigration” pour “éviter le développement des réseaux maffieux”. Pour autant, ce type d'immigration pourrait s'avérer inadapté en France, selon le sociologue spécialiste de l'immigration Patrick Weil. Il cite l'exemple du Canada où les médecins sont aujourd'hui chauffeurs de taxi. Y. K.