Voilà qui devrait sans doute relancer les supputations sur son rôle présumé dans la "fabrication des Présidents", tout comme sur son éventuel arbitrage, lors de la prochaine élection présidentielle, maintenant que le régime se retrouve dans une impasse historique. Dans un discours, d'apparence de circonstance, mais à la tonalité de mise en garde, tenu dimanche devant les cadres de la 4e Région militaire, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah a de nouveau insisté sur le fait que l'Algérie "demeurera au-dessus de toutes les considérations et restera à jamais, grâce à la volonté d'Allah Tout-Puissant, au-dessus de toute considération". "Nous considérons que la souveraineté de notre pays, la sauvegarde de sa sécurité et la préservation de sa stabilité et de son indépendance nationale sont une mission permanente et immuable, voire sacrée, pour l'ANP", dit-il. "Une mission dont notre armée détient les facteurs de son parfait accomplissement, alliant sens de responsabilité, patriotisme et vision clairvoyante et objective qui tiennent compte, et je réitère encore, de l'ensemble des contextes nationaux, régionaux et même internationaux", fait-il valoir. En évoquant les "contextes nationaux", Ahmed Gaïd Salah semble faire allusion au contexte politique trouble actuel, marqué par une grande opacité et une illisibilité, suscitant même des interrogations parmi de larges pans de la population. Il faut dire que jusque-là, Ahmed Gaïd Salah, engagé dans une série de tournées dans toutes les régions militaires du pays, a souvent fait référence à la situation régionale, notamment aux frontières, lorsqu'il s'agit d'évoquer les dangers qui menacent la stabilité du pays. Mais c'est probablement la première fois que depuis que des rumeurs ont circulé, il y a quelques semaines, sur son éventuelle "mise à l'écart" et son "froid présumé" ou "vrai" avec le frère du Président, notamment après un silence qui tranchait avec ses sorties "bruyantes" et largement médiatisées de la rentrée sociale, qu'Ahmed Gaïd Salah insiste sur le sens "de la responsabilité, du patriotisme et de la vision clairvoyante et objective" qui tiennent "compte de l'ensemble des contextes", pour assurer la mission de "stabilité". Par bien des égards, Ahmed Gaïd Salah entend délivrer le message selon lequel l'armée, même si elle claironne qu'elle ne se mêle pas de politique, "évalue les facteurs" susceptibles de porter préjudice à la paix et à la stabilité. Et dans ce contexte, outre les facteurs économiques, les facteurs politiques, comme un éventuel "coup de force constitutionnel", peuvent être perçus, dans ce contexte où le pays semble naviguer à vue, et eu égard aux nombreuses réactions d'hostilité, comme pour rajouter une couche supplémentaire à la déprime générale, notamment après la rocambolesque mise à l'écart du président de l'APN. Hasard du calendrier ou concours de circonstance, c'est au lendemain de cette sortie qu'un ancien général-major à la retraite soutient qu'Ahmed Gaïd Salah ne "permettra pas à des gens de transcender ce qui est prescrit par la Constitution pour assouvir leur désir, leur instinct et leur ambition". "Je reste convaincu que le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, ne permettra à qui que ce soit de violer de manière aussi outrageante la Constitution. Il n'est pas sans savoir qu'il est le dernier de sa génération et que l'histoire est fortement attentive à tout ce qu'il fait ou fera", soutenait hier, dans les colonnes de notre confrère El Watan, Ali Ghediri. Reste que la mission s'annonce compliquée pour une institution dont le rôle est controversé depuis la crise de l'été 1962. Malgré ses "assurances" de prétendue neutralité, elle s'invite toujours dans le débat à chaque proximité d'une échéance électorale d'importance, comme la présidentielle. Lorsqu'en juillet dernier, elle a été invitée par le MSP à parrainer la transition, l'ANP, par la voix de Gaïd Salah, a réagi sèchement. "L'une des mauvaises pratiques, voire étranges, irrationnelles et inacceptables, à la veille de chaque rendez-vous électoral, que ce soit pour l'Assemblée populaire nationale ou pour les Assemblées communales ou wilayales, ou même pour l'élection présidentielle, je dis, à la veille de ces importants scrutins nationaux, et au lieu d'essayer de s'approcher du citoyen en conférant davantage d'importance à ses préoccupations, quelques personnes et certaines parties s'éloignent volontairement de l'exercice politique", avait-il affirmé. "J'avais auparavant souligné et clarifié avec insistance, à maintes occasions, que l'ANP est une armée qui connaît ses limites, voire le cadre de ses missions constitutionnelles, qui ne peut en aucun cas être mêlée aux enchevêtrements des parties et des politiques, ou être immiscée dans des conflits qui ne la concernent ni de près ni de loin." Mais malgré ces "rappels", elle peine à convaincre. Autant Benflis que Hamrouche, pour ne citer que ces deux-là, ou plus récemment encore Soufiane Djillali, considèrent que l'armée a un rôle à jouer… Mais c'est la nature de ce rôle qui fait polémique, qui ne fait pas consensus, voire divise… Karim Kebir