Du jamais vu dans cette ville qui, pourtant, en a connu des marches grandioses. Il était impossible de se frayer un chemin sur le parcours de la manifestation. à Tizi Ouzou, la rue a définitivement tranché et elle l'a fait savoir hier. Sa réponse à la dernière ruse du pouvoir a été des plus cinglantes. "Il est hors de question que le système soit maintenu !", a-t-elle clamé. C'était, à dire vrai, prévisible. Ce qui, en revanche, était surprenant et impressionnant, c'est qu'ils étaient, non pas des dizaines ou des centaines de milliers, mais, au bas mot, plus d'un million à déferler dans les rues de Tizi Ouzou pour l'exiger. La colère nourrie par la sortie médiatique de Bedoui et de Lamamra, jeudi, a fait que les manifestants n'ont même pas attendu l'habituel rendez-vous de 14h pour entamer la marche. À 12h, l'entrée du campus Hasnaoua de l'université de Tizi Ouzou était déjà noire de monde. Sur place, un gros camion frigorifique distribue gratuitement des bouteilles d'eau minérale et d'eau gazeuse aux manifestants. La foule était chauffée à blanc. "Echaâb Yourid Isqat Enidham", "Klitou lebled ya serrakin", "Nehi el-kaskita wa rwah maâna" (enlève ta casquette et rejoins-nous), scandait-on à tue tête. À peine une demi-heure plus tard, la route de l'université ne pouvait plus contenir le flux humain qui ne cessait de grossir. La marche s'ébranle alors pour suivre l'itinéraire vers le centre-ville. Des centaines de banderoles sont déployées. "Le pouvoir revient au peuple", "Intaha zamen el-hechoua" (c'est fini le temps de la ruse), "Dégagez tous maintenant, pas dans un an !", "Yetnehaou Gâa", "Système, serviteur de la France et des USA, dégage", "FLN: Front de liquidation nationale", "Le peuple a sifflé ! Pas de prolongations", "Le maintien du système = dérive pour l'Algérie", "Départ inconditionnel du système. Nouvelle République démocratique", "Vous prolongez votre mandat, nous prolongeons notre combat", "Bedoui erhal", "On restera debout jusqu'à ce que le système tombe", lit-on sur certaines banderoles. Le premier carré de manifestants arrive devant le CHU de Tizi Ouzou, mais plus bas, à l'université, beaucoup n'ont pas pu faire un pas. La foule devient immense et grossit de plus en plus. Quelques dizaines de mètres plus loin, devant le premier rond-point de la ville, la foule ne peut plus avancer. D'autres vagues de manifestants venant en sens inverse s'en retournent, et il est désormais impossible d'avancer vers la place de L'Olivier, à la sortie ouest de la ville, comme prévu. La foule se fait encore plus dense. Du jamais vu à Tizi Ouzou qui, pourtant, en a connu des marches grandioses ! Il est quasiment impossible de se frayer un chemin sur une distance d'environ 3 kilomètres qui sépare la place de L'Olivier de l'université Mouloud-Mammeri. Pour autant, aucune bousculade n'est enregistrée. Une ambiance de joie et de fête règne. Tout le monde fait attention car, au milieu, il y avait des familles entières, des vieillards, des femmes, des handicapés et des bébés. Les manifestants préfèrent alors emprunter les ruelles adjacentes qui, très vite, deviennent inaccessibles, elles aussi. à la place de L'Olivier, les premiers carrés de manifestants ne peuvent plus rebrousser chemin. Chacun se contente de rester sur place. Impossible de mettre un pied devant l'autre. Il était près de 18h, et des milliers de manifestants continuaient encore de sillonner la ville en reprenant en chœur et dans la joie, les mêmes slogans demandant le départ du système. Samir LESLOUS