En plus d'avoir été des pièces maîtresses du régime Bouteflika aux côtés de l'actuel président de l'APN, ces trois personnages sont mis en avant pour conduire une transition dont ils sont exclus de fait. Trois jours après la démission d'Abdelaziz Bouteflika, des millions d'Algériens sont de nouveau sortis, hier, dans la rue, pour rappeler que le départ du chef de l'ancien régime n'est pas la seule solution à la crise. Cela est une bataille de gagné. Mais la guerre est loin d'être terminée. Les regards sont désormais braqués vers la réponse de l'armée. De son bureau des Tagarins, au ministère de la Défense nationale, le chef d'état-major de l'armée devra entendre les slogans scandés par les millions d'Algériens sortis une nouvelle fois dans la rue pour réclamer le changement de tout le système politique. Outre ceux qui réclament son propre départ, les millions de manifestants se sont entendus sur au moins un slogan : le départ des "trois B", à savoir Nourredine Bedoui, Abdelkader Bensalah et Tayeb Belaïz. Or, en plus d'avoir été des pièces maîtresses du régime Bouteflika aux côtés de l'actuel président de l'APN et du chef de l'armée lui-même, ces trois personnages sont mis en avant pour conduire une transition dont ils sont exclus de fait. En proposant l'application de l'article 102 de la Constitution, le chef d'état-major de l'armée s'est, de fait, exposé à une première contradiction : au peuple qui demande le départ de tous les symboles du régime, il a proposé la reconduite de certaines figures, les plus détestables, de l'ère Bouteflika. L'homme n'assume probablement pas toute la responsabilité de ces désignations. Mais tout l'appareil du pouvoir savait qu'en poussant Abdelaziz Bouteflika à la démission, en application de l'article 102, il prenait le risque de faire conduire la transition par des figures de son système. Cela ne peut être perçu, sérieusement, que par une volonté du système de se recycler lui-même en gardant la main sur la période de transition. Avec les manifestations d'hier, il est donc évident que la transition ne pourra être assurée par les "trois B". Les trois figures, auxquelles s'ajoute le président de l'APN, sont rejetées catégoriquement dans tout le pays. Ce qui poussera l'armée, en concertation certainement avec des acteurs politiques, à chercher d'autres voix. Le choix est cornélien, il est vrai. Mais le pays doit retrouver des institutions légitimes conformément aux revendications populaires. S'il a insisté sur la constitutionnalité de la transition, Ahmed Gaïd Salah a pourtant laissé la porte ouverte à d'autres solutions. Dans son discours du 2 avril, puis dans le dernier numéro de la revue El Djeich, la primauté de la volonté populaire a été rappelée avec force. "Mue par sa conviction émanant de son attachement à la légitimité constitutionnelle, l'ANP a réaffirmé sa pleine adhésion aux revendications légitimes du peuple algérien et l'a soutenu, tout comme le peuple algérien a favorablement apprécié et accueilli cette démarche, voyant en elle la solution la plus appropriée pour surmonter la crise et mener le pays vers la sécurité et la stabilité", est-il écrit dans l'éditorial d'El Djeich. Cette brèche, qui fait notamment référence à l'article 8 de la Constitution, peut donc ouvrir la voie à d'autres solutions qui pourront s'opérer en, dehors de la Constitution. Des articles de la loi fondamentale pourront probablement être utilisés pour gérer certains blocages. Mais il est désormais clair que si le pouvoir continue à vouloir imposer sa feuille de route en changeant probablement certaines figures, les Algériens ne rentreront pas chez eux. Pas de sitôt en tout cas.