Près de deux mois après la mise en détention provisoire d'Ahmed Ouyahia et d'Abdelmalek Sellal, une autre figure du système Bouteflika est dans le collimateur de la justice. L'ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux Tayeb Louh est officiellement visé par une enquête de l'Office de lutte contre la corruption. Dans l'attente des conclusions de l'enquête, il est interdit de quitter le territoire national. Plus que pour les autres anciens membres du gouvernement, l'ouverture d'une enquête à l'encontre de Tayeb Louh, précisément pour des soupçons de corruption, est un pas symboliquement important dans le cadre de cette "campagne de lutte contre la corruption" que le nouveau pouvoir prétend mener depuis la chute d'Abdelaziz Bouteflika. L'homme était un proche des cercles de décision, et notamment d'Abdelaziz Bouteflika, en personne, qui en a fait un des ministres qui ont le plus duré au sein du gouvernement. Quoique le régime Bouteflika fût basé sur le principe de l'allégeance, Tayeb Louh, longtemps ministre du Travail, avant de prendre place au ministère de la Justice, faisait partie de ceux qui en abusaient le plus. À tel point qu'au moment où la polémique enflait sur les capacités de l'ancien chef de l'Etat à briguer un nouveau mandat présidentiel, l'ancien garde des Sceaux est monté sur ses grands chevaux, depuis Oran, pour mitrailler Ahmed Ouyahia, un temps pressenti pour succéder au vieux président en fin de mandat. Dans les arcanes de l'appareil judiciaire que Tayeb Louh connaissait sur le bout des doigts bien avant son arrivée au ministère — il était juge durant des années avant de devenir secrétaire général du Syndicat des magistrats —, l'homme avait la haute main sur tout. Y compris les dossiers. C'est grâce à ce pouvoir que des dossiers accablants de hauts responsables ne sont jamais sortis. Pis encore, l'homme faisait tellement attention que rares sont les observateurs qui ont pensé, un jour, qu'il pouvait être lui-même soupçonné de malversations. Pourtant, au sein de l'institution judiciaire, beaucoup de choses ont été dites sur la manière avec laquelle le ministère de la Justice avait acquis, en 2015, le "bracelet électronique". À l'époque, le ministre inaugure, en grande pompe, depuis Tipasa, l'utilisation de cet appareil électronique qui, accroché au pied d'un détenu, peut servir de traceur à la personne qui bénéficie d'une liberté provisoire. Mais cela n'a pas servi qu'à aider la justice dans la surveillance des prisonniers. Cela a dopé les comptes bancaires de certains responsables. La justice n'a pas encore tranché la question. Mais parmi les personnes suspectées d'être concernées par cette affaire, l'ancien garde des Sceaux figure en bonne place. C'est visiblement pour cela, entre autres, que le procureur de la République près le tribunal de Sidi M'hamed a demandé l'ouverture d'une enquête par l'Office de lutte contre la corruption.Au-delà des faits de "corruption", Tayeb Louh est également visé par une plainte déposée par la famille de Mohamed Tamalt. Ce journaliste est décédé en 2017 en détention après plusieurs jours de grève de la faim. Sa famille soupçonne l'ancien ministre d'avoir "laissé mourir" le détenu malgré les alertes de ses avocats et de ses proches sur son état de santé fragile. Deux ans après ce drame, aucune enquête n'a abouti, malgré les promesses des autorités. L'avancée de l'enquête en cours révélera sans doute d'autres affaires peu connues des médias et du grand public.