Les discussions devront porter, exclusivement, sur l'organisation de l'élection présidentielle. Ce qui exclut, de fait, une bonne partie de la classe politique qui veut discuter de la crise dans sa globalité. Trois semaines après avoir lancé sa "nouvelle approche politique", le pouvoir tient son "panel" de personnalités qui devront chapeauter le dialogue. Les six personnalités, issues d'horizons différents, disent avoir "posé" des conditions avant l'entame d'un dialogue avec la classe politique. Pour faire les choses en grand, le chef de l'Etat a organisé une cérémonie. La télévision gouvernementale, qui fait une campagne de propagande autour de la question, relayée par les chaînes de TV privées, a montré Abdelkader Bensalah recevant 6 personnalités. Il s'agit de Karim Younès (l'ancien président de l'APN), de Fatiha Benabbou (constitutionnaliste), de Smaïl Lalmas (expert en économie), d'Azzedine Benaïssa (professeur à l'université de Tlemcen), de Lazhari Bouzid (président du Comité des droits politiques et civiques au Conseil des droits de l'Homme et sénateur du tiers présidentiel) et d'Abdelwahab Bendjeloul (syndicaliste). Dans le communiqué rendu public par la présidence de la République, il est surtout question de l'indépendance du panel dans ses choix politiques. Les services du chef de l'Etat ont également promis de répondre aux préalables posés par les personnalités reçues. Promesse a été faite de satisfaire au moins 6 des revendications des personnalités. Il s'agit notamment de libérer les détenus du mouvement populaire, de libérer le champ médiatique, de lever les obstacles et les dispositifs sécuritaires qui empêchent les manifestations, de cesser les harcèlements. De l'aveu même des personnalités reçues hier, un seul point reste encore suspendu. Parmi les revendications des manifestants, le départ des "symboles du système" figure en pole position des slogans scandés tous les vendredis. La requête a été transmise au représentant du pouvoir. Mais la réponse n'est toujours pas claire. Cette revendication "doit être soumise à une lecture approfondie sur le plan des contraintes constitutionnelles", dira Abdelkader Bensalah à ses interlocuteurs, selon un texte publié par Karim Younès. Mais la revendication "ne saurait tarder à trouver une issue telle que souhaitée par la volonté populaire", promet l'ancien président de l'APN. Si ce n'est pas dit clairement, une des principales revendications du mouvement populaire semble être déjà sacrifiée sur l'autel des "concessions mutuelles". Les six personnalités, dont certaines sont issues du mouvement populaire, ne font plus du départ d'Abdelkader Bensalah une revendication principale. Certains, à l'image de l'économiste Smaïl Lalmas, exigent uniquement le départ de Noureddine Bedoui comme un des préalables à l'entame de dialogue. Une position qui suscite des interrogations au sein de la classe politique et du mouvement populaire. Si la composante de l'équipe ne pose pas de réels problèmes en soi (en dehors de Bouzid Lazhari, ancien sénateur), la démarche à suivre n'est toujours pas connue. Le coordinateur de l'équipe, Karim Younès, promet de contacter d'autres personnalités pour élargir la commission. Mais on ne connaît pas sa position sur la participation ou non des partis politiques qui ont toujours appuyé Abdelaziz Bouteflika dans ses différents mandats présidentiels au dialogue. Une option qui fait réagir, en revanche, Smaïl Lalmas qui assure qu'il ne s'assoira pas à la même table que des partis tels que le FLN, le RND, TAJ ou le MPA. Cela ne semble pas déranger, en revanche, Fatiha Benabbou, qui estime que l'essentiel est de "trouver un consensus". Un couac supplémentaire pour le pouvoir qui cherche un "dialogue inclusif". Avant d'aller au fond de la démarche, certains observateurs se posent déjà des questions sur la forme. À commencer par la présence dans ce panel d'un homme : Bouzid Lazhari. Ce professeur en droit constitutionnel à l'université de Constantine n'est pas un inconnu des Algériens. Nommé sénateur dans le tiers présidentiel par Abdelaziz Bouteflika, ce juriste a pour habitude de justifier les démarches du pouvoir. Y compris lorsqu'il s'agit de forfaitures juridiques commises par l'ancien Président déchu. La présence de ce personnage, qui a notamment fait partie du panel qui a préparé un projet de Constitution en 2012, risque de compromettre la crédibilité du panel. Autre question qui reste en suspens : le pouvoir semble pour l'instant tenir le bout du processus. C'est, en effet, le chef de l'Etat par intérim qui répercute le discours du chef de l'état-major de l'armée, qui définit le cadre du dialogue. Les discussions devront porter, exclusivement, sur l'organisation de l'élection présidentielle. Ce qui exclut, de fait, une bonne partie de la classe politique qui veut discuter de la crise dans sa globalité. Une option qui semble pour l'instant exclue de l'agenda des autorités. C'est à la lumière de l'évolution de ce panel et des rencontres qu'il fera avec les personnalités et partis politiques que se dessinera l'avenir de ce dialogue. L'œuvre est titanesque. Ali Boukhlef