Si le député de Bordj Bou-Arréridj a su convaincre 156 députés de voter contre la levée de son immunité parlementaire, celui d'Annaba n'a pas eu ce privilège, puisque 277 élus ont soutenu la demande du ministère de la Justice. à 10h, l'horaire annoncé pour l'ouverture de la séance plénière, consacrée à l'adoption par le bureau de l'Assemblée nationale puis le vote sur la levée de l'immunité parlementaire de Smaïl Benhamadi et de Baha-Eddine Tliba (députés respectivement du RND et du FLN), il n'y avait pas foule dans les travées de l'hémicycle Zighoud-Youcef. Le rappel sonore n'a cessé de tinter à partir de 9h30. Il a fallu attendre 11h pour que le quorum soit atteint. Slimane Chenine, président de la Chambre basse, a annoncé la présence physique de 251 députés et la validation de 63 procurations. C'était suffisant pour sceller le sort des deux parlementaires, en sursis de poursuites judiciaires. Ne cédant pas à la fatalité, ces derniers ont tenté, jusqu'au bout, de renverser la vapeur et d'inciter leurs pairs à ne point les dépouiller de leur immunité parlementaire. Ils ont d'ailleurs refusé d'y renoncer volontairement, comme l'ont fait quelques jours auparavant Mohamed Djemaï et Berri Saker. Ils ont ainsi conduit l'institution parlementaire à appliquer, pour la première fois dans son histoire, une procédure exceptionnelle. Smaïl Benhamadi, élu de Bordj Bou-Arréridj sous la bannière du RND, a rejoint tranquillement son siège dans l'hémicycle, salué de temps à autre par ses collègues. Difficile de croire qu'il jouera son destin de député, et peut-être d'homme libre dans les quelques heures qui suivront. Selon le rapport de l'instance parlementaire, des présomptions de financement occulte de la campagne électorale du président déchu Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat et des dépassements dans des activités commerciales liées à des marchés publics, pèsent sur lui. La Brigade d'investigation de la gendarmerie nationale a notifié, dans son rapport d'enquête, qu'il aurait utilisé sa qualité de parlementaire et sa proximité avec l'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal pour bénéficier d'indus privilèges et pour exercer des pressions sur des fonctionnaires de l'Etat dans le but de transcender des embûches administratives. Smaïl Benhamadi a affirmé aux membres de l'instance parlementaire que l'interdiction de capter des capitaux de personne physique ou morale de nationalité étrangère touche le seul candidat à la magistrature suprême, en vertu de dispositions de la loi organique portant code électoral. Il a récusé la deuxième accusation, arguant le fait que son mandat de député a été validé vingt-quatre heures avant le limogeage de Sellal de ses fonctions de Premier ministre le 24 mai 2017. Il a précisé qu'il a eu des contacts avec lui, en sa qualité de directeur de campagne d'Abdelaziz Bouteflika, alors que lui-même a été désigné pour baliser le terrain au 5e mandat dans sa ville. Smaïl Benhamadi a expliqué que son immunité parlementaire le prémunit, dans la conjoncture politique actuelle, d'une campagne de dénigrement et de désinformation dont ont été victimes des membres de sa famille. "Cette campagne de diffamation, à relents vindicatifs et politiques, aura un impact direct sur mon droit à me défendre des faits qu'on m'impute", a-t-il déclaré. Son plaidoyer n'a pas convaincu les membres de la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés. Il a reçu, néanmoins, un écho favorable en plénière, tenue à huis clos. À l'issue d'un vote à bulletins secrets, 156 députés se sont exprimés contre la levée de son immunité parlementaire, tandis que 131 élus se sont alignés sur la position de la commission parlementaire, 43 se sont abstenus et 7 suffrages ont été déclarés nuls. L'homme d'affaires échappe ainsi, le temps de son mandat (jusqu'au mois de mai 2022), à la justice. Une première dans les annales du Parlement algérien. Baha-Eddine Tliba, député d'Annaba d'obédience FLN, n'a pas eu la même chance. Le dépouillement des voix lui a été défavorable. 277 députés, sur 314 votants, ont soutenu la demande du ministère de la Justice en lui retirant son immunité parlementaire, contre 30 voix acquises à sa cause. Un verdict sans appel. Il s'est échiné, pourtant, avec ténacité à subir l'épreuve de l'urne sans dommage. La veille de la plénière, il a envoyé à ses collègues un texto, les priant de l'appuyer au motif qu'il fait l'objet d'allégations mensongères proférées par les fils de l'ancien secrétaire général du FLN et ancien ministre de la Solidarité nationale puis de la Santé Djamel Ould Abbes, lui-même incarcéré à El-Harrach depuis des semaines. Dans le rapport distribué aux députés et dont Liberté détient une copie, il est précisé que le ministère de la Justice a motivé la demande de levée de son immunité parlementaire par l'implication de Baha-Eddine Tliba dans des actes à caractère pénal, principalement l'octroi aux fils d'Ould Abbas de grosses sommes d'argent (sept milliards de dinars, selon des indiscrétions) en contrepartie de l'inscription de son nom et de ceux de quelques-uns de ses proches en pole position sur la liste électorale du FLN aux législatives de 2017 dans la circonscription électorale d'Annaba. Devant les membres de la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés de la première Chambre du Parlement, le député milliardaire a regretté d'être au banc des accusés, alors qu'il avait pris l'initiative de déposer une plainte contre les deux personnes susmentionnées pour "tentatives d'extorsion de fonds" et chantage. Au début de la semaine en cours, il a rendu publique une lettre dans laquelle il se présente comme une victime d'un clan du sérail. "La diffamation et le harcèlement moral dont ma personne fait l'objet actuellement sont issus des manœuvres des relais de la îssaba à l'encontre de ceux qui sont réfractaires à l'ordre établi", avait-il écrit. La stratégie n'a pas fonctionné dans son cas. Il sera bientôt convoqué devant le juge d'instruction près le tribunal de Chéraga, où il a déjà été auditionné en tant que témoin, le 4 septembre dernier. Il sera probablement placé sous mandat de dépôt ou, au mieux, sous contrôle judiciaire. En sept mois, une dizaine de députés et de sénateurs (Mohamed Djemaï, Berri Saker, Boudjemâa Talaï, Amar Ghoul, Djamel Ould Abbes…) ont perdu leur immunité parlementaire, généralement pour corruption. Ils sont presque tous en détention préventive à la prison d'El-Harrach.