"Nous avons cassé un tabou en interpellant une juge d'instruction sur la problématique des mandats de dépôt. Elle a répondu qu'elle se limitait à l'application de la loi", rapporte un des membres du collectif de défense des détenus d'opinion. La mise sous mandat de dépôt systématique des manifestants porteurs de pancartes ou de l'emblème amazigh par le tribunal de Sidi M'hamed ne passe plus inaperçue, tant les décisions des magistrats semblent disproportionnées avec celles de leurs confrères dans les juridictions des autres wilayas. Ailleurs, les citoyens arrêtés pour les mêmes motifs sont relaxés ou, au pire, mis sous le régime du contrôle judiciaire en attendant la fin de l'instruction et ce, à quelques jours d'intervalle. Des disparités flagrantes dans l'appréciation des cas ont incité les avocats à enfreindre, hier, une règle procédurale. Théoriquement, ils n'ont pas le droit d'interférer dans une audition devant le juge d'instruction, leur rôle se limitant à assister juridiquement, par leur présence, leurs mandants. "Nous avons cassé un tabou en interpellant une juge d'instruction sur la problématique des mandats de dépôt. Elle a répondu qu'elle se limitait à l'application de la loi", rapporte Me Seddik Mouhous, membre du collectif de défense bénévole des détenus d'opinion. Il précise que cette question relève, à présent, d'un combat à mener par les hommes de loi en premier lieu. Depuis le début de la semaine, les magistrats du tribunal de première instance, sis à la rue Abane-Ramdane, ont ordonné la détention préventive de deux militants actifs du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse), Ahcène Kadi et Karim Boutata, ainsi qu'un étudiant en sixième année de chirurgie dentaire, Smaïl Chebili, arrêté le vendredi 27 pour avoir noué autour du cou une écharpe aux couleurs de la bannière berbère. Ils ont maintenu à la prison d'El-Harrach plusieurs détenus du hirak et auditionné, pour la seconde fois, Messaoud Leftissi, Billal Bacha et Garidi Hamidou (76 ans). Aujourd'hui sera présenté Billal Ziane, qui souffre d'un cancer à un stade avancé. Les avocats ne présagent guère sa libération, malgré son état de santé. "En instruction, il n'y a pas de circonstances atténuantes", explique Me Mouhous. Durant ces quarante-huit heures, pour les mêmes chefs d'inculpation, soit atteinte à l'unité nationale sur la base des articles 79 et 96 du code pénal pour port de l'emblème amazigh, trois manifestants ont été relaxés dimanche à Oran avec restitution de l'objet présumé du délit, et quatre autres activistes de la révolution populaire ont été remis en liberté provisoire après 15 jours d'incarcération à Constantine et à Mostaganem. À Annaba et à Batna, les porteurs de la bannière berbère ont été totalement blanchis des accusations portées contre eux à l'issue de leur procès. Dans certaines villes, les poursuites judiciaires ne sont même pas engagées contre les hirakistes. Le tribunal de Sidi M'hamed et, dans une moindre mesure, celui de Bab El-Oued constituent l'exception qui fait désormais jaser, et dans les espaces publics et dans les chaumières. Il devient de plus en plus difficile, en effet, de justifier la détention préventive de plusieurs semaines des personnes arrêtées, dans la capitale exclusivement.