S'il est admis dans les pratiques judiciaires que certaines décisions dépendent aussi de la conscience des magistrats, néanmoins des questions se posent lorsqu'elles sont distinctes pour les mêmes faits. Depuis le mois de juin, la chronique judiciaire s'emballe. Des dizaines de manifestants, d'opposants et parfois de simples militants sont détenus pour des faits liés aux manifestations politiques en cours. Si la plupart des détenus sont libérés un peu partout dans le pays, ceux qui passent par le tribunal de Sidi M'hamed font exception. Ils sont quasi systématiquement mis sous mandat de dépôt. Les dernières décisions de mise en détention préventive ont été prises il y a deux jours. Elles ont concerné les deux militants de l'association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) Ahcène Kadi et Karim Boutata, arrêtés jeudi dans un café à Alger. Présentés dimanche devant le procureur de la République, ils ont été placés sous mandat de dépôt. Le lendemain, soit hier, le scénario a été totalement différent dans un autre tribunal du pays. À Constantine, trois détenus du mouvement populaire ont été remis en liberté provisoire par la chambre d'accusation. Hier, au tribunal de Sidi M'hamed, deux détenus du hirak ont comparu devant le juge d'instruction. Ils ont été maintenus en détention préventive. Une détention que le RCD a dénoncée comme "une prise d'otages (…)" Les détenus Messaoud Leftissi et Billal Bacha comparaîtront devant le juge d'instruction près le tribunal de Sidi M'hamed, alors que ce dernier les avait auditionnés il y a trois mois. "Cette lenteur est une preuve que ces valeureux prisonniers sont pris en otage par une justice qui continue à violer toutes les lois de la République !", lit-on dans le communiqué rendu public hier par ce parti. Ils sont plusieurs manifestants, passés par le tribunal de Sidi M'hamed, à être dans la même situation. Ils sont également nombreux les manifestants interpellés ailleurs qui ont bénéificié de décisions de justice plus clémentes. À Annaba, à Mostaganem et à Batna, des jeunes manifestants, arrêtés pour avoir brandi l'emblème amazigh, ont été tout simplement acquittés par des juges d'instruction qui ont même ordonné la restitution des emblèmes saisis ; ce qui confirme que ces écharpes ne constituaient pas un objet de délit. À Alger, en revanche, et pour les mêmes motifs, les détenus en sont à leur troisième mois d'emprisonnement sans savoir quel sera leur sort. Aucun procès ne se profile à l'horizon. "Plus de trois mois que des innocents jaloux de leur pays sont arbitrairement incarcérés pour avoir, pour certains, brandi le drapeau amazigh dont aucun texte pénal ne réprime le port, et pour d'autres pour avoir exprimé simplement une opinion politique contraire à la bonne humeur des tenants du pouvoir en Algérie", rappelle le RCD, à titre d'exemple. Mais plus que les détenus du mouvement populaire, l'arrestation de Karim Tabbou est l'illustration parfaite de cette "exception algéroise". Le militant politique a été relâché mardi par la cour de Tipasa qui trouvait donc qu'il présentait suffisamment de garanties pour être mis en liberté conditionnelle. Mais il sera arrêté le lendemain matin chez lui à Douéra, conduit au tribunal de Sidi M'hamed qui le renvoie à la prison de Koléa. Ses avocats ignoraient encore hier les chefs d'inculpation qui pèsent sur le coordinateur de l'Union démocrate et sociale (UDS). Le lendemain de la brève libération de Karim Tabbou, un autre militant arrêté quelques jours auparavant, Samir Belarbi, est passé devant le juge d'instruction près le tribunal de Sidi M'hamed. Selon les avocats de la défense, avant même de consulter son dossier, le magistrat a décidé de prolonger la détention provisoire pour les mêmes chefs d'inculpation que son camarade libéré à Tipasa la veille. S'il est admis dans les pratiques judiciaires que certaines décisions dépendent aussi de la conscience des magistrats, néanmoins, des questions se posent lorsqu'elles sont distinctes pour les mêmes faits.