Les cinq candidats retenus par l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie) ont dû mesurer hier la difficulté de la tâche qui les attend en cette période de fortes tensions. À Alger, à Tlemcen, à Adrar et à Tizi Ouzou, les activités des postulants ont été fortement chahutées. La campagne électorale pour l'élection présidentielle du 12 décembre prochain a commencé hier. Les cinq candidats retenus par l'Autorité nationale indépendante des élections (Anie) ont dû mesurer hier la difficulté de la tâche qui les attend en cette période de fortes tensions. Certains ont tenté leur chance en allant rencontrer des électeurs, pendant que d'autres ont préféré temporiser en attendant de voir plus clair. Premier à vouloir mettre les bouchées doubles dans cette campagne, Ali Benflis, qui a passé un test difficile à Tlemcen. Parti pour débuter sa campagne dans l'ancienne capitale des Zianides, l'ancien chef de gouvernement n'a pu tenir son meeting que grâce à une présence massive des forces de l'ordre. Dehors, des dizaines de citoyens ont organisé un sit-in pour s'opposer à sa venue. L'homme semble avoir ignoré cette mobilisation qui s'est étendue, y compris dans la salle de la Maison de la culture où il a été chahuté. Il a quitté les lieux sous forte escorte policière pour aller animer un autre meeting à Tamanrasset. Dans la foulée, son équipe de campagne a même abandonné des journalistes sur place. Son "rival" Abdelmadjid Tebboune joue les prolongations. L'homme, présenté comme le favori du pouvoir en place, était annoncé au moins dans trois endroits. Les médias officiels ont annoncé qu'il devait animer, à 16h, un meeting à Adrar. D'autres sources, non vérifiées, ont évoqué un déplacement discret à Tizi Ouzou où des manifestants l'attendaient. Puis, en début d'après-midi, des journalistes se sont déplacés dans un hôtel situé sur la côte ouest d'Alger où l'ancien ministre de l'Habitat était également attendu. Finalement, Tebboune a préféré le confort de son bureau. En plus de devoir se donner un temps d'observation, il devait gérer la démission de son directeur de campagne, Abdellah Baâli. Pour diriger sa campagne électorale, il a nommé, dans l'urgence, Mohamed-Lamine Messaïd, un ancien directeur de cabinet d'Abdelmalek Sellal, à la place de l'ancien ambassadeur d'Algérie à Washington. Pour donner l'impression de tenir quand même une activité, il a délégué l'ancien ministre du Tourisme, Hacen Mermouri, pour animer un meeting à Sidi Fredj. Selon différentes sources, la rencontre a tout simplement été annulée… faute de public. Entre-temps, des médias gouvernementaux indiquaient que le candidat Abdelmadjid Tebboune se rendra finalement à Adrar, aujourd'hui, pour y animer un meeting. La première journée de la campagne électorale hors normes a été marquée par le soudain attrait qu'a exercé la ville d'Adrar sur les candidats à l'élection présidentielle. Au moins deux d'entre eux s'y sont rendus. Il s'agit d'Azzedine Mihoubi et d'Abdelaziz Belaïd. En plus de tenter d'y rencontre des citoyens, les deux hommes ont succombé au péché mignon de tous les hommes du système : ils ont visité les toutes-puissantes zaouïas de la région. Quitte à se mettre en contradiction avec la charte d'éthique signée samedi et qui interdit, entre autres, l'utilisation des lieux de culte dans la campagne électorale, les deux candidats ont donc sollicité la bénédiction des hommes de religion, comme le faisait si souvent Abdelaziz Bouteflika, grand adepte de la zaouïa de Cheikh Belekbir. C'est dans la salle de prière de cette institution religieuse que le secrétaire général par intérim du RND a versé quelques larmes lorsque l'un de ses hôtes louait, dans une intervention, ses qualités. Pour réitérer leur refus de l'élection présidentielle, des citoyens d'Adrar ont organisé un sit-in en signe de protestation contre la venue des deux hommes politiques. Plus que cela, une association de parents d'élèves a dénoncé l'utilisation des enfants pour assister à des meetings électoraux. La méthode est également connue de tous. Mais elle continue à être utilisée pour remplir les salles. Sorti dans Alger pour sans doute créer le buzz médiatique, le candidat islamiste Abdelkader Bengrina n'oubliera pas de sitôt cette escapade. À peine arrivé devant la Grande-Poste, le président du parti El-Bina, né de la dissidence d'une partie des cadres de l'ancien Hamas, a été accueilli par des cris hostiles de citoyens algérois. Protégé par un énorme dispositif policier, l'homme a à peine eu le temps de prononcer quelques phrases sous les applaudissements de ses accompagnateurs. À quelques encablures de là, les cris des opposants ont été plus forts. Contraint de rebrousser chemin, Bengrina a dû annuler, dans la foulée, un parcours de marche qui devait l'emmener jusqu'à la place des Martyrs. Alors qu'il quittait les abords de la Grande-Poste sous une forte escorte policière, le candidat n'a pas pu voir son portrait géant ciblé par des jets d'œufs et des insultes de tous genres des manifestants et sous les cris de "Klitou leblad, ya serraqine" (Vous avez bouffé le pays, ô voleurs !). Timide entrée en lice D'habitude symboles de toute campagne électorale, les affiches électorales ont carrément disparu des paysages en ce premier jour de "campagne électorale". Les panneaux réservés à cet effet par les communes ont été plutôt remplis de slogans du hirak ou ont vu carrément des sacs-poubelles accrochés dessus. Dans certains cas, les portraits des candidats et leurs affiches ont été remplacés par des portraits de détenus d'opinion. Dans certaines villes et communes, les panneaux n'ont même pas été posés. Acculés dans leurs derniers retranchements par la poursuite de la mobilisation populaire, les candidats à l'élection présidentielle n'ont même pas pu ouvrir de permanences électorales. À l'exception des partis politiques qui disposaient déjà de bureaux communaux ou de wilaya, transformés en permanence de campagne, les autres candidats, notamment Abdelmadjid Tebboune qui n'est officiellement soutenu par aucun parti politique en dehors d'El-Islah, ne peuvent compter que sur de nouvelles recrues. Une denrée rare en ces temps où le fait de cautionner le processus électoral peut être mal perçu par les voisins et les proches. Dans leurs discours de début de campagne, les candidats qui ont pu s'exprimer ont tous affirmé leur volonté de concrétiser les revendications du hirak populaire. Ils disent tous être "candidat du peuple" et promettent "une nouvelle ère" dans la construction d'une nouvelle république. Pendant ce temps, plusieurs villes du pays connaissent des manifestations d'opposants à l'élection présidentielle. Une marche imposante a eu lieu à Tizi Ouzou et un grand rassemblement à Tlemcen. C'était le cas, la veille, à Bordj-Bou Arréridj et à Kherrata. Des contre-marches ont également eu lieu à Oran et à Tiaret pour s'opposer aux partisans de l'élection. Officiellement, la campagne électorale durera trois semaines. Les candidats tenteront de réaffirmer leur bonne foi en allant affronter les Algériens. Bizarrement, le planning complet des meetings n'est pas encore connu. Il faudra, peut-être, le découvrir au jour le jour. Les marches populaires des mardis et des vendredis ne changeront visiblement pas de calendrier. Des appels sont déjà lancés sur les réseaux sociaux pour l'organisation de grèves cycliques. L'objectif est toujours le même : le changement du système politique et le refus du calendrier électoral actuel.