Ce livre, publié en octobre dernier aux éditions Barzakh, est le récit intime de l'autrice, qui fait appel à de douloureuses bribes de souvenirs de cette fatidique année 1974, année de son viol, alors qu'elle n'a que 9 ans. À cinquante ans, Souad Labbize ose enfin raconter son viol, confiné jusqu'alors dans ses pensées et ses peurs, tenues secrètes pendant plus de quarante ans dans ce "cachot intime" de l'enfance, où se sont fossilisés les mots pour dire son drame. Enjamber la flaque où se reflète l'enfer, des éditions Barzakh et distribué gratuitement lors du dernier Salon international du livre d'Alger, est le récit intime de l'autrice, qui fait appel à de douloureuses bribes de souvenirs de cette fatidique année 1974, année de son viol par un adulte alors qu'elle était sortie en cachette de la maison. Ce témoignage devient une "marque de compassion" pour la petite fille qu'elle était, puisque ni sa mère, ni son père, ni ses tantes et encore moins les voisins ne lui ont témoigné, après son viol, la moindre compassion ni tendresse, si ce n'est les humiliations répétitives de la mère, les moqueries innocentes des petites cousines et "l'indolence" du père. Ce père qui "rougit" à l'annonce faite par son épouse de la "tentative" de viol que venait de subir sa fille. Au drame du viol, à la difficulté de le comprendre et de le dire, s'est érigé un autre enfer, celui du dégoût de la mère, qui ébruitera le déshonneur que venait de subir la chair de sa chair auprès de la famille et des voisins, voyant en elle l'unique responsable. "Ma mère a continué à ébruiter mon malheur avec mépris, elle se plaignait d'avoir une fille stupide. Aucune des femmes informées n'a eu le mouvement vers la petite fille figée sous la pluie acide des mots maternels. Je m'habituais au manque de tact de ma mère, à l'absence d'affection, au silence de mon père." La cruauté de la mère, censée pourtant la soutenir et la consoler, finit par faire de la petite fille une enfant sans repères, sans joie, murée dans un mutisme et une peur perpétuelles. Le rejet de la mère mènera la jeune Souad à ne plus oser parler des autres viols et agressions sexuelles qu'elle subira les années suivantes et à l'âge adulte, puisque, dans nos sociétés, l'opprobre est porté sur la victime, non le violeur, et l'actualité le démontre. Ainsi sont passés sous silence les abus du moniteur de la piscine, père de deux enfants du même âge qu'elle, ceux des gamins du quartier, amassés autour d'elle à l'entrée de l'immeuble, ceux de Hassan le voisin, ni Elyas, le cousin violeur, qui abusait d'elle dans la terrasse en haut de la maison à El-Harrach. Stratifiés, ces traumatismes successifs finissent par se ressembler pour la petite fille et la femme qu'elle deviendra, puisque le silence et la culpabilité qu'on lui a imposés à chaque viol vécu ont fini par happer la douleur ressentie et le deuil de son honneur souillé. Les paroles d'enfant rejoignent les pensées d'adulte de Labbize, qui use d'un langage cru et naïf à la fois. Arrachés du fond de sa mémoire, ces mots viennent-ils, se demande-t-on, panser une blessure que personne n'a su regarder, encore moins soigner, quarante ans après les faits ? Pour rappel, ce livre, traduit dans sa version arabe par Rola Sadki et Thouraya Felli, a été tiré à 500 exemplaires par les éditions Barzakh, dont la moitié a été remise à des associations.