Ferhat Aït Ali explique, dans l'entretien qui suit, que quel que soit le mode de règlement du fret, les pavillons étrangers opérant vers et à partir du pays, même réglés en dinars, réclameront leur dû en dollars ou en toute autre devise internationale. Liberté : Une instruction de l'Abef exige que les importations doivent se faire exclusivement sur la base de l'Incoterm FOB (free on board", ou en français, "sans frais à bord"). C'est-à-dire que le coût du transport, maritime ou aérien, sera payé en dinars algériens aux compagnies de transport. Pouvez-vous commenter cette mesure et nous décrire les effets qu'elle aura sur le commerce extérieur et sur les entreprises, notamment celles qui importent de la matière première ? Ferhat Aït Ali : Loin d'avoir les effets supposés bénéfiques qu'elle suggère sur le commerce extérieur du pays, ou sur le pavillon national, cette mesure unique en son genre ne sera d'aucun effet sur la balance devises du pays. Elle ne procurera aucune retombée en termes d'augmentation de fret transporté par le pavillon national en mauvaise posture pour d'autres causes. Mais bien au contraire, elle aura des effets négatifs à court terme sur l'intégralité de la chaîne d'approvisionnement du pays. Quel que soit le mode de règlement du fret et la monnaie de transaction de départ, le règlement final se fera en devises pour les pavillons étrangers opérant vers et à partir du pays, qui, même réglés en dinars, réclameront leur dû en dollars ou en toute autre devise internationale. Par contre, la dissociation du transport d'un produit importé de sa facture de vente sortie d'usine aura pour effet la non-maîtrise et des coûts de transport annexés en fin de parcours à la dépense totale et du timing d'acheminement entre le fournisseur initial et le transporteur choisi pour cette opération à partir d'Algérie et non du pays de départ. Ainsi, si vous achetez un produit ou équipement d'un pays donné, la charge du transport et les délais entre la livraison effective et l'arrangement avec un armement n'incomberont plus à la partie étrangère, mais à la partie algérienne, dans un domaine où nous n'avons aucune maîtrise ni des flux ni des coûts internationaux. Cela engendrera non seulement des surcoûts, mais des contentieux dans lesquels les fournisseurs exigeront d'être payés d'avance par LC pour éviter d'être pris dans des conflits client armateurs, et, en plus, se dégageront totalement à partir d'un manifeste COB (clean on board), à partir du moment où ils auront mis leur marchandise en containers prêts à l'expédition. En quels termes se posent aujourd'hui les questions du fret maritime ? Le fret maritime est une activité dominée par les grands armements pour l'acheminement vers les hubs régionaux (plateforme de correspondance) et les armements anciens et bien établis pour les dispatchings vers les ports de destination finale. Il est difficile de coordonner les opérations de fret pour un opérateur non averti, et pour nos transitaires limités en général aux opérations en douanes, pour des flux dont ils ne connaissent ni les coûts fluctuants ni les opportunités de fret offertes en temps réel et encore moins pour les ports de transit internationaux. Et tout sera laissé aux soins des grands armements qui, au lieu de traiter comme d'habitude avec des fournisseurs et des pays habitués à négocier au meilleur rapport qualité, prix et délais, auront à faire des offres à des novices en la matière, qu'ils pourront plumer à souhait, sans compter les litiges douaniers sur les décomptes des frais de transport, et les jonctions entre les factures FOB et les frais de transport annexés, ainsi que sur les délais et itinéraires qui pourront faire l'objet de surfacturations pour n'importe quel opérateur au courant des arcanes de ce marché très opaque et très lucratif, les armateurs étant en général réputés être des flibustiers des temps modernes. La taille de notre flotte est-elle suffisante pour assurer le transport maritime de fret ? Celle-ci n'est pas la source du problème, encore moins sa solution. Nous pouvons avoir 2000 navires, mais cela ne changerait strictement rien, sauf pour certaines marchandises homogènes sur de longues distances, comme les céréales et les minerais et autres cargaisons en vrac. Les armateurs n'achètent pas des flottes pour approvisionner leurs pays, mais pour avoir des parts du fret international, selon les lignes choisies, la disponibilité des bateaux sur des positions maritimes en temps réel, l'espace encore disponible à bord après de multiples opérations de préférence regroupées et la rentabilité de l'opération. Si un bateau de la Cnan se trouve dans une quelconque mer du globe, il est suivi en temps réel, et la compagnie met la disponibilité de volume et de poids supportable à bord en temps réel, et les armements et bourses de fret lui confient du fret en temps réel, dans cette zone et pas une autre. On n'envoie pas un bateau chercher la cargaison destinée à son pays, aux antipodes de sa position du moment, et on n'attend pas son retour pour acheminer la cargaison destinée au même pays. À titre d'illustration, notre flotte, qui culminait à 80 bateaux durant les années 80 et 90, n'a jamais pu assurer que 3% de notre fret arrivée, alors qu'en termes de tonnage brut, elle pouvait assurer plus de 70%. Elle opérait modestement sur d'autres marchés, avant d'être plombée par la bureaucratie, la rapine et les projections foireuses des bureaucrates. Le volume disponible n'a rien à voir avec la capacité à approvisionner le pays, dans le domaine maritime, sauf en temps de guerre où le facteur commercial cède le pas au facteur stratégique, ce qui n'est pas notre cas, dans la mesure où même dans ce cas, il serait difficile de dissocier un embargo maritime d'un autre plus général sur les transactions.